Depuis vingt ans, la Chine n’a cessé d’accroître son influence sur le commerce international, au point d’en devenir un acteur prépondérant. Elle a su jouer avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce qu’elle a rejointe en 2001. En Occident, le constat est amer et l’heure est à la désillusion.
En acceptant la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 2001, les dirigeants occidentaux se sont largement fourvoyés. Quelque vingt ans plus tard, l’Union européenne et les Etats-Unis prennent conscience d’avoir été dupés.
Le réveil est douloureux.
C’était il y a vingt ans, une éternité. L’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) fait alors souffler un vent d’euphorie dans les capitales occidentales : « La Chine a accepté de jouer les mêmes règles commerciales que nous, applaudit le président américain de l’époque, Bill Clinton. C’est un bon accord pour l’Amérique. Nos produits y gagneront un meilleur accès au marché chinois, de l’agriculture aux télécommunications en passant par l’automobile. […] C’est bon pour nos fermiers, nos entreprises manufacturières et nos investisseurs »… Vingt ans après, le constat est amer.
C’est un climat de guerre commerciale qui règne entre la Chine et ses partenaires, à commencer par les Etats-Unis. Les pays occidentaux constatent les dégâts sur certaines de leurs industries, aujourd’hui disparues. Que ce soit pour l’Oncle Sam ou l’Union européenne, l’heure est à la désillusion plutôt qu’à l’enchantement. La Chine est au banc des accusés pour ses pratiques commerciales. Elle aurait triché pour devenir le premier pays exportateur mondial, et le deuxième importateur derrière les Etats-Unis.
En 2001, pourtant, tous les espoirs sont permis. Les conditions d’adhésion de la Chine sont drastiques. « Ils ont payé très cher leur accession. Ils ont dû réduire leurs droits de douane d’environ 10 %. Conséquence : ceux-ci étaient à l’époque deux tiers plus bas que ceux des autres pays en développement », indique l’ancien directeur général de l’OMC, Pascal Lamy. « Ils ont accepté ces conditions dans l’optique de moderniser leur économie », analyse-t-il.
Quand Bill Clinton vante une Chine à l’OMC
Les pays occidentaux croient que cet abaissement des barrières douanières va leur ouvrir en grand le marché chinois. Autres conditions drastiques face à l’émergence de la puissance commerciale de la Chine : « Pour une période de quinze années, la Chine a accepté de ne pas être traitée comme un pays d’économie de marché », explique Sébastien Jean, le directeur du Cepii.https://www.youtube.com/embed/SN6nJFXcxGk
Ce qui signifie qu’en cas de dumping avéré sur certains produits, la Chine s’exposait à des sanctions plus fortes. Bref, les pays occidentaux s’étaient a priori prémunis contre l’importation massive de produits chinois à bas prix.
D’un point de vue strictement commercial, l’intégration de la Chine est payante. Les statistiques de l’OMC montrent bien une hausse des importations chinoises de marchandises. Elles passent de 225 milliards de dollars, en 2000, à 2.000 milliards de dollars, en 2019. Côté exportations, là aussi, la hausse prédomine. Les montants passent de 250 à 2.500 milliards de dollars sur la même période. « Les surplus commerciaux chinois ont fondu ces quinze dernières années, de 10 % à 1 % de leur richesse nationale », observe Pascal Lamy. Reste que l’ouverture chinoise ne profite pas à tout le monde.
L’eldorado chinois
Les déficits commerciaux américains et européens ne cessent de se détériorer entre 2000 et 2020. Le déficit des Etats-Unis se creuse de 84 à 255 milliards de dollars. Celui de l’Union européenne lui, passe de 50 à 180 milliards d’euros. Dans les faits, les Occidentaux sont naïfs dès le départ. « L’intégration de la Chine à l’OMC ne s’est pas traduite par un accroissement de la production des entreprises localisée sur le sol américain. Au contraire, nous avons assisté à une hausse de la production européenne et américaine sur le sol chinois. De ce point de vue, il y a clairement eu un divorce entre les intérêts des entreprises américaines et ceux des travailleurs. Aujourd’hui, General Motors ou Volkswagen produisent plus de voitures en Chine qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne », observe Sébastien Jean.
L’intégration de la Chine à l’OMC ne s’est pas traduite par un accroissement de la production des entreprises localisée sur le sol américain. Au contraire, nous avons assisté à une hausse de la production européenne et américaine sur le sol chinois.
Sébastien JeanDirecteur du Cepii
« Aucune entreprise n’a pu résister à l’eldorado chinois avec de faibles coûts de main-d’oeuvre […] et un accès à plus de 1 milliard de consommateurs. La Chine s’est trouvée en position de force pour capter une part prépondérante de certaines chaînes de valeurs », confirme Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale du Comité français de la chambre de commerce international. « Les multinationales des pays développés ont une part de responsabilité. C’est indéniable. Elles ont suivi des politiques à courte vue en acceptant des transferts de technologie en échange d’un accès au marché chinois », renchérit l’ancien directeur général du commerce à la Commission européenne, Jean-Luc Demarty. La Chine, à elle seule, ne peut être accusée de la désindustrialisation des Etats-Unis et de certains pays européens.
La décrépitude de certains secteurs est liée à la mondialisation. Mais la désindustrialisation et la casse sociale qui l’accompagnent sont surtout liées aux progrès technologiques tels que la robotisation et, dans certains cas, à l’absence d’une volonté politique de réformer l’économie. Sur ce plan, l’Allemagne a mieux joué que la France qui pâtit de quarante ans d’errements et d’immobilisme.
Devenir l’usine du monde
Dès le départ, les Chinois avaient une stratégie : devenir l’usine du monde. « Nous, Occidentaux, n’avons pas vu venir cette rapide montée en gamme des produits chinois grâce aux transferts de technologies », ajoute Jean-Luc Demarty. Aujourd’hui, si le TGV chinois ressemble furieusement à son homologue allemand, c’est bien grâce à cela. Dans la mesure où l’OMC n’a aucune compétence en la matière, la Chine s’est engouffrée dans la brèche, profitant de l’attitude conciliante des multinationales. « Dans l’absolu, si une entreprise ne veut pas transférer son savoir-faire, ses concurrents le feront. Elle est en position de faiblesse. Il n’est pas illégitime de copier les technologies qui marchent le mieux, mais il n’est pas normal de forcer ce transfert », commente Sébastien Jean.
« Il n’y a pas de transfert forcé. C’est une condition que les Chinois imposent aux entreprises étrangères pour qu’elles soient autorisées à s’implanter, à investir en Chine. On peut leur reprocher cette politique. Elle est dans la lettre de la loi mais pas dans l’esprit, qui est de protéger la propriété intellectuelle. Les entreprises se sont laissées faire car elles y ont vu, à tort ou à raison, leur avantage, l’exploitation du marché chinois », analyse Pascal Lamy.
Collectivement, nous n’avons pas assez verrouillé les règles concernant les subventions industrielles et la concurrence. Nous nous sommes fait coincer par leur système de capitalisme d’Etat.
Jean-Luc DemartyAncien directeur général du commerce à la Commission européenne
Les pays occidentaux ont lorgné ce marché de plus de 1 milliard de consommateurs sans se préoccuper de la justesse des pratiques du commerce international. « Collectivement, nous n’avons pas assez verrouillé les règles concernant les subventions industrielles et la concurrence. Nous nous sommes fait coincer par leur système de capitalisme d’Etat », se souvient Jean-Luc Demarty. « Au cours des dix premières années de présence à l’OMC, nous avons pu constater une convergence avec le système du capitalisme de marché, en particulier une réduction du poids des entreprises sous contrôle d’Etat dans le PIB chinois. Mais dans les dix suivantes, ce poids est remonté de 15 % à 30 % du PIB », observe Pascal Lamy.
Une discipline trop lâche
La Chine jongle avec les règles de l’OMC. Elle utilise les trous dans la raquette du système commercial international, tout en jouant habilement de la réglementation en place. Un exemple ? Malgré son entrée à l’OMC, la Chine a continué d’imposer des droits de douane de 25 %, et non 10 % comme prévu dans le protocole d’adhésion, sur les équipements automobiles importés lorsqu’ils constituent au moins 60 % de l’assemblage d’un modèle. Le Canada, l’Union européenne et les Etats-Unis ont porté plainte estimant que cette politique favorise les constructeurs et aussi les équipementiers locaux. La Chine, condamnée en 2008, s’est conformée aux décisions de l’OMC. « Mais il était trop tard, la majorité des équipementiers étant venus s’installer en Chine », rappelle Sébastien Jean. Pékin a fort bien joué la montre. La condamnation par l’Organe de règlement des différends de l’OMC a pris trop de temps. C’est d’ailleurs l’un des reproches régulièrement brandi par Washington.
Autre affaire emblématique : les panneaux solaires , technologie développée aux Etats-Unis et perfectionnée en Allemagne. « Les Chinois ont massivement subventionné leur propre industrie et ont noyé la concurrence européenne et américaine en utilisant des canaux variés de subventionnement tels que des crédits à taux préférentiels, un accès favorisé aux terrains de l’Etat… Quand l’Union européenne a porté plainte en 2012 pour dumping chinois, il était trop tard. L’industrie européenne avait disparu », ajoute le directeur du Cepii.
Devant ces politiques de subventions opaques, ces pratiques parfois discriminatoires, l’Union européenne a bien tenté en 2009, un an après l’échec des négociations dites du « cycle de Doha » de l’OMC, de remettre sur la table le renforcement des règles de discipline. « Peine perdue. Les Etats-Unis n’étaient pas intéressés », se rappelle Jean-Luc Demarty. « La Chine a su exploiter la faiblesse des règles de l’OMC sur les aides d’Etat. Quand j’étais commissaire européen au Commerce, l’idée était de renforcer les disciplines sur ce point dans les négociations du cycle de Doha. Mais personne n’a voulu ouvrir la boîte de Pandore. A commencer par les Occidentaux. Nous avons eu tort, rétrospectivement, d’écouter les juristes qui nous ont conseillé de ne pas bouger pour ne pas fragiliser nos propres subventions », témoigne Pascal Lamy.
Xi Jinping change la donne
La crise financière de 2008 et la chute de Lehman Brothers sont aussi passés par là. « Les autorités chinoises se sont dit que le système américain n’était pas si excellent que ça », ajoute Jean-Luc Demarty.
Les autorités chinoises se sont dit que le système américain n’était pas si excellent que ça.
Jean-Luc Demarty
En 2013, un deuxième choc intervient : l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir. « Après l’immobilisme des dernières années de Hu Jintao, Xi Jinping apparaissait comme un réformateur. A Bruxelles, nous avons vite compris qu’il n’en était rien. Au contraire. A Davos, juste après l’élection de Donald Trump à la présidence américaine, Xi Jinping est venu se présenter comme le chantre du multilatéralisme et du libre-échange. Toutes les multinationales américaines ont applaudi. J’étais consterné », poursuit-il.
Avec le nouvel homme fort de Pékin, le monde assiste à une nouvelle étape de la reprise en main de l’économie chinoise par l’Etat. Adieu le capitalisme américain. A ses yeux, si la Chine est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est parce qu’elle a su rester à l’écart des idées économiques occidentales et qu’elle est restée elle-même. Depuis 2009, son économie est dopée aux subventions. L’influence du Parti communiste est omniprésente et les entreprises privées sont mises au pas. La Chine s’écarte de la trajectoire prévue il y a vingt ans.
L’OMC, quant à elle, se retrouve gelée dans son fonctionnement, prise entre les intérêts contradictoires des Etats-Unis, de la Chine et de l’Union européenne. L’heure est plutôt aux mesures de défense commerciales prises de manière unilatérale, qu’elles soient américaines ou européennes, pour contrer l’influence grandissante de la Chine. Les bisbilles commerciales sont loin d’être terminées.
Regard Sur l’Afrique Par Richard Hiault
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