La France implose sous nos yeux. Cinq Premiers ministres en deux ans, un président rejeté par sept Français sur dix, et une Constitution à bout de souffle. Le gouvernement de Sébastien Lecornu, mort-né après seulement quatorze heures, n’a pas été un accident — c’est le symptôme d’une République au bord de la rupture.
La France, jadis berceau des grandes révolutions et de la réinvention politique, est aujourd’hui prisonnière d’un drame qu’elle a elle-même écrit : une République paralysée par la division, l’épuisement et la défiance.
Avec la démission de Sébastien Lecornu après à peine quatorze heures à Matignon — le cinquième Premier ministre à tomber en deux ans — le pays s’enfonce dans une crise politique et institutionnelle profonde. Ce qui s’effondre, ce n’est pas seulement un gouvernement, mais la crédibilité d’un système tout entier sous l’ère Macron.
Une crise politique systémique
Ce n’est pas une simple crise passagère : c’est une implosion du système. La Vᵉ République, bâtie en 1958 pour garantir un exécutif fort et la stabilité du pouvoir, montre aujourd’hui des signes d’épuisement. Comme l’a résumé le journaliste Régis Le Sommier, la France a « atteint la fin d’un exercice constitutionnel ». Le mécanisme conçu par de Gaulle pour dégager des majorités claires enferme désormais les présidents dans des minorités permanentes.
La France n’a plus besoin d’un remaniement : elle a besoin d’une refondation démocratique
Depuis la dissolution ratée de l’Assemblée nationale en juin 2024, le pays vit dans un vide institutionnel : un chef d’État sans majorité, un Parlement éclaté en blocs ennemis, et une population lassée par l’instabilité permanente.
La chute éclair de Lecornu
L’effondrement du gouvernement Lecornu en moins d’une journée résume l’absurdité du moment. Nommé un dimanche soir, le fidèle du président promettait « renouveau » et « dialogue ». Le lundi matin, il démissionnait. L’étincelle ? Une fronde au sein des Républicains, ulcérés par la nomination surprise de Bruno Le Maire à la Défense — symbole du refus de Macron de changer de cap.
En quelques heures, la fragile coalition s’est désintégrée : Bruno Retailleau a claqué la porte, le Rassemblement national a exigé la dissolution, et la gauche préparait une motion de censure. Lecornu n’a pas renoncé par faiblesse, mais parce qu’il avait compris l’impossibilité de gouverner.
Un paysage politique éclaté
La scène politique française est devenue un puzzle d’alliances inconciliables. Le bloc centriste de Macron, Renaissance, s’est réduit à une minorité d’environ 200 députés. À droite, le Rassemblement national de Marine Le Pen domine avec un discours souverainiste et identitaire. Les Républicains, eux, se déchirent entre partisans d’un compromis et tenants d’une rupture avec le macronisme. À gauche, le Nouveau Front populaire (socialistes, écologistes, communistes, insoumis) reste divisé entre réformistes et radicaux.
Dans ce chaos arithmétique, aucune majorité stable n’est possible. Gouverner est devenu un exercice de mise en scène, prisonnier des egos et des calculs présidentiels. Comme le note l’historien Jean Garrigues, les responsables politiques « n’ont pas compris que la Vᵉ République avait changé ; les Français attendent désormais autre chose ».
Macron : le problème ou le symptôme ?
Pour beaucoup, Emmanuel Macron est la crise. L’ancien réformateur « jupitérien » règne aujourd’hui sur un champ de ruines. D’après le sondage Odoxa, 78 % des Français rejettent l’action du gouvernement ; à peine 22 % lui accordent encore leur soutien.
De l’extrême droite à la gauche radicale, le mot d’ordre est le même : « Macron doit partir. » Même ses anciens fidèles, Gabriel Attal ou Édouard Philippe, refusent désormais de remonter dans le navire.
Le macronisme, fait de technocratie et en contournant le Parlement, ne passe plus. Sur la scène internationale, le président s’agite de Kiev à Gaza, tandis qu’à Paris, il s’isole dans un palais déserté. Celui qui incarnait la modernité apparaît désormais comme un monarque solitaire, entouré de courtisans plutôt que de conseillers.
La France est-elle encore gouvernable ?
La question n’a jamais paru aussi brutale : la France est-elle encore gouvernable ? Le journaliste Christophe Barbier parle d’une « implosion de la politique sur elle-même ». Chaque camp bloque l’autre, chaque ambition présidentielle sabote toute alliance. Cinq Premiers ministres en deux ans, un Parlement incapable de voter les lois : la gouvernance est devenue un simulacre.
Et la crise politique menace de devenir financière. La note de la France est sous surveillance, Bruxelles exige la rigueur, et les marchés doutent. Avec un déficit à 5,8 % du PIB et une dette publique dépassant 3 300 milliards d’euros, le pays inquiète ses partenaires, surtout l’Allemagne. À Berlin, les éditorialistes redoutent que l’instabilité française ne fragilise toute la zone euro.
Trois scénarios, aucun enviable
Dissolution et élections anticipées : Un retour aux urnes pourrait redonner de la légitimité, mais risquerait de livrer le Parlement à l’extrême droite ou à une gauche divisée — et d’accélérer la chute de Macron.
Un gouvernement d’union nationale : Une coalition improbable entre centristes, modérés et conservateurs. Théoriquement possible, politiquement illusoire.
La démission présidentielle : L’option « gaullienne », évoquée par Le Sommier, serait cohérente avec l’esprit de la Ve République. Mais Macron a juré d’aller « jusqu’au bout ».
Dans tous les cas, la polarisation risque de s’aggraver.
Les leçons d’une débâcle
La chute d’un énième gouvernement révèle l’épuisement d’un modèle. La Ve République, conçue pour la stabilité, est devenue une prison. Le « monarque républicain » qu’était censé incarner le président s’est transformé en figure d’isolement. Les institutions ne produisent plus de cohésion ; elles amplifient la fracture.
Le malaise français n’est plus une affaire de personnes, mais de légitimité. Entre gouvernants et gouvernés, le fossé s’est mué en abîme. Les Français ne croient plus en leurs élites, qu’elles soient politiques, médiatiques ou économiques. Ils ne réclament pas un énième technocrate, mais un nouveau contrat social.
La tragédie de Macron est là : il voulait être de Gaulle, il devient Pompidou. Un président enfermé dans l’inertie, incapable d’inspirer ou de rassembler. La France n’a plus besoin d’un remaniement : elle a besoin d’une refondation démocratique.
Regard Sur l’Afrique par Ricardo Martins – Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique
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