Les différentes déclarations du président sénégalais, Macky Sall, au sujet de la guerre en Ukraine couvrent, à elles seules, une bonne partie de la gamme des positionnements des pays africains vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine, dont la puissance brutale attire certains mais effraie d’autres encore davantage. Il y eut, d’une part, l’expression d’un chef d’Etat soucieux de ménager une opinion publique au sein de laquelle monte sensiblement le discours antifrançais en particulier et antioccidental d’une manière générale. Et, sur un autre ton, Macky Sall assure, en 2022, la présidence tournante de l’Union africaine, forte de 55 membres, qui appelle au « respect impératif de la souveraineté nationale de l’Ukraine ».
Ces variations se sont exprimées, mercredi 2 mars, dans l’enceinte des Nations unies, à New York. L’assemblée générale y a adopté à une écrasante majorité une résolution à l’intitulé sans équivoque : « Agression contre l’Ukraine ».
Sur les 193 pays membres de l’ONU, 141 ont approuvé le texte. Cinq s’y sont opposés. Trente-cinq se sont abstenus, parmi lesquels 17 pays africains
Mercredi 2 mars, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, par une très large majorité, une résolution exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ; 141 pays ont approuvé ce texte, 5 s’y sont opposés et 35 se sont abstenus. Plus de la moitié de ces derniers étaient des pays africains.
Vingt-huit pays africains ont voté en faveur de la résolution des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Un pays du continent a voté contre : l’Érythrée. Et 25 pays africains ne se sont pas prononcés. Des abstentionnistes, mais également des pays qui n’étaient pas présents le jour du vote.
Une Afrique partagée en deux camps, souligne Francis Kpatindé, maître de conférences à Sciences-Po Paris : « D’un côté, ceux qu’on pourrait qualifier de pro-Occidentaux, des pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, l’Égypte ou la Tunisie. Ainsi que le Ghana, le Gabon et le Kenya, qui sont tous trois membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Et de l’autre côté, vous avez des pays, historiquement considérés proches de l’Union soviétique – parmi les abstentionnistes – comme l’Algérie, l’Angola, le Congo-Brazzaville. Des pays qui ont fleurté avec le marxisme léninisme. Et vous avez des nouveaux amis de la Russie comme la Centrafrique. »
Pour ce chercheur, la forte abstention s’explique en partie par un retour de la politique de non-alignement des années 1960 sur le continent africain, avec en tête des pays comme l’Ouganda, qui vient de prendre la présidence du Mouvement des non-alignés, la Tanzanie ou bien l’Afrique du Sud qui, après avoir condamné l’invasion russe, a fait marche arrière vers une politique plus neutre. À la tribune des Nations unies, la représentante sud-africaine a d’ailleurs regretté que cette résolution ne créé pas un environnement plus favorable au dialogue et à la médiation.
Une certaine distance de la part des pays africains
Il y a une certaine prudence à ne pas s’engager dans un camp ou dans l’autre dans un conflit qui ne concerne pas directement les États africains, souligne le professeur Mor Ndao, historien sénégalais : « Il est difficile de prendre position parce que la Russie a contribué de façon significative à l’accompagnement des mouvements de libération nationale de l’Angola, du Mozambique, de la Guinée-Bissau, du Cap-Vert, de l’Afrique du Sud. Le cordon ombilical n’a jamais été coupé. Et l’Otan et le bloc occidental ont un certain contentieux avec les États africains, par exemple sur la gestion de la crise libyenne et ses répercussions sur la géopolitique du Sahel en Afrique. Donc, je crois que c’est tous ces aspects qui invitent les États africains à une certaine distance par rapport à ce conflit. C’est une position sage qui permet même à l’Union africaine de se déployer et d’être un acteur en matière de conciliation et de médiation. »
Mais la forte abstention des pays africains ne s’explique pas uniquement par la volonté de préserver une neutralité face aux deux blocs. Il y a également une volonté de ne pas froisser la Russie, puissant partenaire commercial et militaire sur le continent, rajoute Michel Galy, professeur à l’Institut des relations internationales à Paris : « Il y a des pays qui sont en train de passer des alliances avec Moscou, fusse par groupe Wagner interposé comme le Mali ou la Centrafrique. Et puis, il y avait récemment une délégation du Soudan en Russie pour refonder la coopération militaire, voire établir une base russe au Soudan. Donc, en pleines tractations, le Soudan n’a aucune envie de se mettre la Russie à dos. »
En République centrafricaine, plusieurs dizaines de personnes se sont réunies samedi matin 5 mars dans la capitale Bangui pour afficher leur soutien à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.
Los de la manifestation pro-russe ce samedi, des banderoles et des pancartes affichaient les slogans « Russie + RCA = amitié », « Russie et Centrafrique contre le nazisme » ou encore « C’est la faute de l’Otan ».
Tous notent l’abstention du Sénégal, en dépit de sa proximité politique avec la France. Le président Macky Sall – également président en exercice de l’Union africaine – a rappelé dans un communiqué « l’attachement » de Dakar « au respect de l’indépendance et de la souveraineté des États » tout en réaffirmant « son adhésion aux principes du non-alignement ».
Dix-sept abstentions de pays africains, 28 votes pour
Dix-sept abstentions sur 35 viennent des pays africains, avec entre autres le Congo-Brazzaville, Madagascar, le Mali, le Sénégal, le Soudan, l’Algérie, l’Éthiopie ou encore l’Afrique du Sud qui se sont abstenus. Ce qui confirme l’embarras d’une partie de continent vis-à-vis de ce conflit. Certains sont des alliés de longue date de Moscou, comme Alger, d’autres sont en train de se rapprocher des Russes, comme le Mali, en pleine transition.
Par ailleurs, peut-être pour envoyer un signal, des pays ont carrément décidé de ne pas voter du tout : Burkina, Guinée, Cameroun ou encore Éthiopie. Un seul pays africain a voté contre cette résolution, sans surprise, il s’agit de l’Érythrée.
Pourquoi le Maroc s’est abstenu de voter la résolution de l’ONU sur l’Ukraine
Le Maroc reste fidèle au principe du respect de « l’intégrité territoriale des pays membres des Nations unies », et au principe de la « neutralité positive », indique le ministère des Affaires étrangères dans un bref communiqué. Il dénonce l’usage de la force pour résoudre les conflits et mentionne sa participation aux aides humanitaires pour le peuple ukrainien. Dans les médias, plusieurs éditorialistes et experts marocains développent l’idée qu’un « vote ou pas du Maroc n’allait pas changer grand-chose » et qu’au regard de l’alliance classique entre la Russie et l’Algérie, Rabat n’allait pas faire ce « cadeau à Alger » en offensant Moscou, fournisseur essentielle du Royaume en matières premières. Autre argument donné : le Maroc serait fatigué de ses partenaires européens qui ne soutiennent pas assez Rabat sur la question du Sahara face aux indépendantistes du Polisario. Or la Russie, dotée du droit de veto à l’Assemblé générale de l’ONU, s’abstient depuis des années de voter les résolutions sur le Sahara occidental. Ce qu’apprécie Rabat qui tente, selon des observateurs, de lui renvoyer l’ascenseur. Surtout qu’un nouveau vote doit avoir lieu à l’ONU en avril prochain. À cela s’ajoute les tensions de ces deux dernières années avec l’Espagne et l’Allemagne. Et le coup de froid avec la France depuis l’affaire Pegasus. Le Maroc cherche depuis des années à varier ses partenaires stratégiques et économiques. Des accords le lient désormais à l’Inde, la Chine et la Russie, que le roi Mohammed VI a visités. Le Maroc essaie donc de bâtir un équilibre entre ses principes et ses intérêts, et de ménager la chèvre et le chou. Mais face à la guerre en Ukraine qui semble s’installer dans le temps, face aux pressions croissantes des États-Unis et de l’UE, il parait difficile à Rabat de tenir l’équilibre. C’est dans ce contexte que Wendy Sherman, la sous-secrétaire d’État américaine, entame une tournée dans plusieurs pays, parmi lesquels le Maroc et l’Algérie, pour discuter de l’Ukraine. Sa tournée comprend également la Turquie et l’Égypte. Elle espère obtenir le ralliement de ces pays à la position occidentale.
Le président de la commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, avait, « condamné l’invasion militaire » et « exhorté » les deux parties à « un cessez-le-feu ».
Par Regard Sur l’Afrique
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