Au Cameroun, Adolphe Moudiki est l’un des derniers compagnons de lycée de Paul Biya. Un condisciple de Paul Biya, dès les années 1950, le patron de la Société nationale des hydrocarbures a ignoré plusieurs instructions venues du Palais d’Etoudi, dans l’épineuse affaire Savannah Energy et du pipeline qui relie le Tchad au port de Kribi, au point d’être écarté par le président.
Le 4 juillet, Adolphe Moudiki, le puissant administrateur-directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), n’a pas été convié au conseil d’administration tenu au siège de la Cameroun Oil Transportation Company (Cotco), à Douala. Cette coentreprise gère la partie camerounaise du pipeline reliant le Tchad au port de Kribi.
Lors de cette réunion cruciale, le Camerounais Harouna Bako a été désigné directeur général de Cotco, détenue à hauteur de 15,17 % par la SNH, et la Tchadienne Haoua Daoussa Déby, directrice générale adjointe. Preuve de cette sérénité retrouvée entre les deux pays, deux ministres tchadiens avaient fait le déplacement.
Comment Ferdinand Ngoh Ngoh tente de faire limoger Adolphe Moudiki
Après la tentative manquée du 17 juillet, le secrétaire général de la présidence et PCA de la SNH convoque une autre session de cette instance, pour débarquer l’actuel patron, qui est un intime de Paul Biya.
À Yaoundé, Ferdinand Ngoh Ngoh ne lâche pas prise. Le secrétaire général de la présidence, poste qui lui confère de droit celui de président du conseil d’administration de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), a convoqué une session extraordinaire de cette instance le 24 juillet prochain à la présidence. Initialement prévue le 17 juillet, celle-ci a été annulée in extremis, le jour même.
Un conseil d’administration extraordinaire de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) est prévu ce jour au Secrétariat général de la présidence de la République (Sgpr). Il s’agit de la session initialement prévue le 17 juillet dernier, qui est « reprogrammée », selon les termes de Ferdinand Ngoh Ngoh le président du Conseil d’administration (PCA) de l’entreprise, qui convoque les assises. L’ordre du jour, susurre-t-on à Yaoundé, est la nomination d’un nouvel administrateur directeur général (ADG). Il est donc question de débarquer Adolphe Moudiki qui, selon des sources concordantes, a déserté les bureaux depuis de longs mois, en raison des soucis de santé. Et d’ailleurs, l’homme a signé le 4 mars dernier une note de service, transférant certaines de ses compétences à Igor Soya Bissaya, le conseiller N°2, pour une durée de trois mois. Échéance qui a expiré ; et l’homme continue de se faire rare à son lieu de service. Par conséquent, le pouvoir de l’intérimaire se poursuit.
Une situation qui semble agacer le sommet de l’Etat depuis des lustres ; ou du moins le PCA qui n’a pas des rapports très cordiaux avec l’ADG. Et qui tient là une belle occasion de se débarrasser d’un adversaire. Le poste d’Adolphe Moudiki était ainsi mis en jeu le 17 juillet dernier. L’homme a réussi à faire échec au projet de le déchoir. En fermant les portes de la SNH aux administrateurs. Pour par la suite humilier le PCA et non moins Sgpr quelques heures plus tard. C’est que, de sources concordantes, le président de la République a prescrit la paix et le dialogue entre les deux figures de proue de la SNH. Le journal La Nouvelle, dans son édition de ce 23 juillet 2024, indique que « Paul Biya a demandé au PCA de se concerter avec Adolphe Moudiki pour trouver une voie de sortie honorable, en harmonisant leurs positions». Selon le journal de Jacques Blaise Mvié, Ferdinand Ngoh Ngoh s’est exécuté et a joint l’autre au téléphone, pour solliciter cet apaisement. Lequel lui a donné rendez-vous à son domicile le même 17 juillet en soirée. Sauf que « curieusement, Adolphe Moudiki va plutôt donner des ordres à ses vigiles de ne pas lui ouvrir les portes de sa résidence», rapporte le confrère. Le Sgpr repliera déçu. Pour reprogrammer la session avortée.
« Paul Biya n’a plus reçu Moudiki ni ne lui a adressé la parole depuis la fin de mai, lorsque Glencore avait admis avoir versé 7 milliards de F CFA de pots-de-vin aux hauts responsables de la SNH et de la Sonara. »https://t.co/neDSuwopo7
— Rebecca Enonchong (@africatechie) July 10, 2023
Adolphe Moudiki, l’ami du président Biya
«Adolphe Moudiki sera intouchable tant que Paul Biya vivra, et peut-être même au-delà », glisse un fin connaisseur des arcanes du pouvoir camerounais. Il n’exagère pas. Entre le tout-puissant patron de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), et le chef de l’État, la complicité n’est pas feinte. Les deux hommes, qui se sont connus sur les bancs du lycée Leclerc de Yaoundé et ont longtemps joué au tennis ensemble ainsi qu’au golf, accompagnés de Jean-Gaston Noah, ont grimpé de concert les échelons du pouvoir.
Magistrat de formation, Adolphe Moudiki intègre le ministère de la Justice en 1972 avant d’être nommé en 1975 conseiller technique puis secrétaire général du cabinet du Premier ministre Paul Biya, qu’il ne quittera quasiment plus. En 1982, il le suit à la présidence, où il occupe brièvement un poste de conseiller technique puis la direction du cabinet civil en 1988. Dans l’intervalle, il devient directeur général de la Régie des chemins de fer du Cameroun (Régifercam). Il est ensuite nommé ministre de la Justice et le restera jusqu’en 1991. Mais c’est en 1993 que vient la véritable promotion : il prend les rênes de la SNH, en tant qu’administrateur directeur général, pour ne plus les lâcher.
Quelques conseils d’administration de la SNH ont encore lieu à Paris, obligeant les pontes de la société à faire le déplacement et à y retrouver le grand patron. Mais, à bientôt 83 ans (il les fêtera le 10 décembre prochain), Adolphe Moudiki ne se frotte en réalité plus qu’aux gros dossiers, laissant la majorité des affaires à une poignée de ses collaborateurs. Depuis une dizaine d’années, il s’est mis en retrait, poussé par l’âge et les soucis de santé – notamment aux yeux. Ses conseillers Bernard Bayiha et Jean-Jacques Koum (que d’aucuns appellent respectivement « numéro un » et « numéro deux ») ont pris le relais.
L’autre patronne de la SNH, qui travaille à la direction du département juridique, est une femme de moins de cinquante ans, et pas n’importe laquelle : l’épouse du directeur général, Nathalie Moudiki, née Engamba. Mariée à Adolphe Moudiki depuis 2000, elle est sans doute l’une des femmes les plus puissantes du pays après Chantal Biya. Amie intime de cette dernière, trésorière du Cercle des amis du Cameroun (Cerac, association fondée par la première dame et qui rassemble la quasi-totalité des épouses de ministres et dignitaires camerounais), elle dispose d’une influence non négligeable à la présidence, à la fois auprès d’Oswald Baboke et de Samuel Mvondo Ayolo, respectivement directeur de cabinet adjoint et directeur de cabinet de Paul Biya.
Un homme puissant
Bon vivant, ce Douala issu de la petite bourgeoisie de Yaoundé est devenu l’un des plus puissants personnages de l’État. Jouant de sa proximité avec le président, avec qui il a passé nombre de ses vacances, il demeure son plus fidèle ami. Et sa femme, Nathalie Engamba Ada, est une intime de la première dame, Chantal Biya, qu’elle conseille au sein de sa fondation. Les anciens partenaires de golf se téléphonent encore très régulièrement, même s’ils ne se voient plus que très peu.
C’est notamment Moudiki qui a accordé en 2001 au Trésor public l’avance de 31 millions de dollars – dont 27 millions auraient été détournés – nécessaire à l’achat de l’avion présidentiel Albatros
Plus affaibli par l’âge que Paul Biya, Adolphe Moudiki a certes demandé à plusieurs reprises à prendre sa retraite, mais le chef de l’État a catégoriquement refusé, estimant qu’il ne pouvait faire confiance à aucune autre personne dans la gestion de la SNH. Et pour cause, c’est notamment Moudiki qui a accordé en 2001 au Trésor public l’avance de 31 millions de dollars – dont 27 millions auraient été détournés – nécessaire à l’achat de l’avion présidentiel Albatros.
Depuis, l’affaire a fait son lot de victimes (Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara, Jérôme Mendouga, décédé en détention, et Yves Michel Fotso), mais le patron de la SNH n’a rien perdu de son influence. S’il déserte la plupart du temps son bureau et délègue beaucoup de dossiers à ses deux directeurs financiers et commerciaux, il conserve les clés de la « tirelire » de l’État, faisant et défaisant les carrières dans le domaine des hydrocarbures, où aucun directeur ou ministre ne saurait s’opposer à lui.
Cotco
L’homme à « remplacer », est annoncé en France déjà. Mais la partie va se poursuivre ce jour, non plus à la SNH, mais plutôt à la présidence de la République. Au nez et à la barbe de Paul Biya. Dans les tiroirs de Ngoh Ngoh se trouvent encore inappliquées les résolutions du dernier conseil d’administration tenu en visioconférence sans ce dernier qui avait souhaité en vain une réunion en présentiel. Avec notamment des nominations parmi. C’est le prolongement d’une bataille déclenchée en 2023. Les deux hommes de « confiance » de Paul Biya se sont affrontés en 2023 sur le dossier Cotco, l’entreprise qui gère le pipeline Tchad-Cameroun, dont la SNH est actionnaire. Le PCA et l’ADG de la SNH s’étaient brouillés sur la nomination du représentant du Cameroun au Conseil d’administration.
Créée le 12 mai 1980, la SNH est un mastodonte du secteur pétrolier et de ses chaînes de valeur au Cameroun. Avec dans son portefeuille 12 entreprises dont Tradex, Hydrac, Cotco, Chanas assurance, Perenco Cameroon. Agé de 86 ans dont 31 passés à la tête de l’entreprise, Adolphe Moudiki n’entend pas céder le fauteuil. Mais l’avenir immédiat semble se dessiner sans lui. Paul Biya a peut-être lâché un de ses principaux pions. Malgré les secousses de ces derniers jours, le prince d’Etoudi qui s’est terré dans un silence assourdissant depuis plusieurs mois, suscitant des doutes sur sa mainmise sur les affaires de l’Etat, n’est pas officiellement sorti de son hibernation. Abandonnant ses poulains dans une bataille de coqs. Il y a fort à parier qu’un seul gagnera.
RSA avec Sources
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