Depuis février 2022, les membres du G7 et l’Union européenne cherchent des fonds pour aider l’Ukraine contre l’envahisseur russe. Une de leurs idées consistait à saisir les biens russes gelés sur des territoires étrangers, mais l’Arabie saoudite a détesté l’idée au point de menacer de vendre les obligations de dette de l’UE, et notamment de la France.
Depuis quelques mois, le groupe des Sept (France, États-Unis, Canada, Japon, Royaume-Uni, Italie et Allemagne) réfléchit à la possibilité de saisir les actifs de la Russie gelés en février 2022 lors de l’invasion de l’Ukraine pour réinjecter cet argent dans l’aide apportée à Kiev. Or, près de 300 milliards de dollars d’actifs sont situés sur le territoire saoudien. Et le pouvoir de Mohammed ben Salmane (MBS) ne l’entend pas de cette oreille.
L’Arabie saoudite a mis en garde l’Occident : selon Bloomberg, Riyad a menacé de vendre des titres de créances européens si le G7 décidait de saisir les 300 milliards de dollars d’actifs russes gelés en Occident. Ce dernier s’est finalement résolu à saisir les seuls profits des actifs.
Une «menace voilée», selon Bloomberg : l’agence, citant des personnes proches du dossier, a rapporté le 9 juillet dernier que Riyad avait fait part aux membres du G7, «plus tôt cette année», qu’elle pourrait vendre des titres de créance européens si ces derniers venaient à saisir les actifs gelés de la Russie. «Les Saoudiens ont notamment fait référence à la dette émise par le Trésor français», ont notamment indiqué deux sources à l’agence.
Le G7 a finalement acté en mai dernier la saisie des profits de ces actifs afin d’armer Kiev, et non des actifs eux-mêmes. Londres et Washington, à l’origine partisans de la mesure la plus radicale, se sont finalement rangés derrière les Européens, plus inquiets des répercussions internationales d’une saisie, arbitraire et susceptible d’effrayer les investisseurs internationaux.
En juin, les pays du G7 envisageaient un prêt de 50 milliards de dollars d’ici fin 2024 à Kiev, garanti par les futurs intérêts générés par les actifs russes.
Actifs Russes: les États-Unis poussent l’UE à commettre le hold-up du siècle
Quelque 191 milliards d’euros de la Banque de Russie sont actuellement placés auprès d’Euroclear Bank (EB), un organisme international de dépôts de fonds siégeant à Bruxelles. Selon la patronne d’EB, Valérie Urbain, ces fonds ont généré 4,4 milliards d’euros (avant imposition) de revenus en 2023. Environ 5 milliards de dollars d’actifs de la Banque de Russie ont aussi été identifiés aux États-Unis.
Moscou a fustigé une expropriation Le 22 mai, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, avait fustigé une «expropriation» : «[Les Européens] comprennent le danger pour eux des conséquences potentielles, ils ont donc opté pour une version allégée, mais la version réduite n’est rien d’autre qu’une expropriation.»
La position de l’Arabie saoudite a probablement influencé la réticence de ces pays
«La position de l’Arabie saoudite a probablement influencé la réticence de ces pays», rapporte Bloomberg, avant de préciser que le ministère des Finances saoudien a nié avoir proféré la moindre menace de ce type. «Nos relations avec le G7 et d’autres pays sont fondées sur le respect mutuel et nous continuons à discuter de toutes les questions qui favorisent la croissance mondiale et renforcent la résilience du système financier international», a fait valoir ce dernier.
La menace saoudienne pourrait inspirer d’autres détenteurs de la dette
Si l’Arabie saoudite peut se permettre de menacer le G7, c’est parce qu’elle détient plusieurs dizaines de milliards d’euros d’obligations financières liées à la dette européenne. A priori, les bons du Trésor français seraient tout particulièrement dans le viseur des Saoudiens, qui détiennent également 155 milliards de dollars de dette américaine.
Certes, les pays du G7 et l’Europe toute entière ne sombreraient pas dans une crise économique sans précédent si leurs obligations étaient revendues au plus offrant. En revanche, cela pourrait donner des idées à d’autres détenteurs de la dette. Petit à petit, l’Union européenne serait sans aucun doute perdante. Selon Bloomberg, la menace saoudienne s’est dissipée lorsque le G7 a finalement décidé de ne pas exproprier les actifs russes. À la place, une aide de 50 milliards de dollars a été accordée en juin à l’Ukraine. Elle sera remboursée grâce aux profits des quelque 280 milliards de dollars de fonds russes bloqués sur le sol européen.
L’Arabie saoudite veut être un acteur clé du Sud
Contacté par le média spécialiste des marchés, le ministère des Finances saoudien a assuré qu’« aucune menace de ce genre n’[avait] été faite ». « Notre relation avec les membres du G7 et les autres pays du monde se fait dans le respect mutuel et nous continuons de discuter de tous les sujets qui promeuvent la croissance mondiale et améliorent la résilience du système financier international. »
Un responsable saoudien cité par Bloomberg a estimé que «ce n’était pas le style du gouvernement de proférer de telles menaces, mais qu’il avait probablement exposé aux membres du G7 les conséquences d’éventuelles saisies».
L’affaire confirme néanmoins le poids grandissant, financièrement et diplomatiquement, de Riyad sur la scène internationale. L’Arabie saoudite peut se targuer d’un statut neutre face au conflit ukrainien, ayant conservé des liens avec Kiev et Moscou.
En réalité, parce que l’économie saoudienne repose principalement sur le pétrole, vendu en dollars, la monarchie a peu intérêt à dévaluer cette monnaie. Mais la menace supposée faite au G7 démontre que le pays dirigé de facto par MBS veut être vu comme un acteur central parmi les nations dites du Sud
Par Regard Sur l’Afrique
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