À Madagascar, une déclaration choc de militaires secoue le pays. Après deux semaines de crise sociale marquées par les coupures d’eau et d’électricité, des soldats affirment ne plus pouvoir “obéir à des ordres irrationnels”. Ils dénoncent une situation chaotique, pendant que le président aurait quitté le pays, selon plusieurs sources locales.
Dans leur message, les militaires appellent à l’unité entre armée, police et gendarmerie, refusant de tirer sur le peuple. Une position rare qui traduit la profondeur du malaise au sein des forces de défense.
Antananarivo retient son souffle : entre colère populaire et vide de pouvoir, la stabilité du pays est désormais en jeu.
Le contingent militaire du Capsat a également appelé, samedi, les policiers et les gendarmes à les rejoindre, et a demandé aux militaires postés devant les palais présidentiels de quitter leurs positions et de bloquer l’aéroport.
Des soldats malgaches ont rejoint, samedi 11 octobre, les milliers de manifestants dans les rues de la capitale Antananarivo, appelant les forces de sécurité à « refuser les ordres de tirer » sur la population et condamnant la répression policière récente.
La manifestation de samedi à Antananarivo a été l’une des plus importantes depuis le début de la contestation, le 25 septembre, lancée par le mouvement Gen Z pour protester contre les coupures d’eau et d’électricité et qui s’est mutée en une remise en cause des responsables politiques au pouvoir, à commencer par le président Andry Raojelina.
Samedi soir, le nouveau premier ministre, Ruphin Zafisambo, a assuré que le gouvernement, « qui se maintient fermement », était « prêt à collaborer et à écouter toutes les forces : les jeunes, les syndicats et l’armée ». « Madagascar ne pourra pas résister à d’autres crises si cette division entre les citoyens persiste », a poursuivi le général Zafisambo dans un bref discours filmé. De son côté, la présidence a publié un communiqué assurant que le président Andry Rajoelina « reste dans le pays » et « continue de gérer les affaires nationales ».
Les forces de sécurité ont fait usage, samedi, de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser plusieurs milliers de manifestants dans la capitale. Une partie des policiers sont partis lorsque des soldats ont pénétré dans la ville dans des véhicules militaires, certains agitant des drapeaux malgaches, et ont rejoint la foule dans la rue, sous les salutations et les « merci », a constaté une équipe de l’Agence France-Presse (AFP).
Appel à la désobéissance
Le départ de la police a permis à la foule de rejoindre la place du 13-Mai, devant l’hôtel de ville d’Antananarivo. Sur place, le colonel Michael Randrianirina, du contingent militaire du corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (Capsat), une unité militaire ayant appelé à la désobéissance, a déclaré à l’AFP que la police avait tiré sur ses soldats, touchant un militaire et un journaliste. « Le journaliste a été touché à la fesse, tandis que le soldat est décédé », a-t-il ajouté. « A tous ceux qui ont envoyé les gendarmes ici, à commencer par le chef de la gendarmerie, le premier ministre, le président (…). Ils doivent quitter le pouvoir », a-t-il ajouté.
Selon des médias locaux, les services de secours ont fait état de deux morts et de vingt-six blessés samedi. Des vidéos sur les réseaux sociaux montrent un homme en civil dans une flaque de sang à deux pas de la place. Des journalistes de l’AFP ont entendu des coups de feu pendant la manifestation.
Avant de quitter leur base militaire du district de Soanierana, en périphérie d’Antananarivo, les soldats du Capsat avaient appelé à la désobéissance. « Unissons nos forces, militaires, gendarmes et policiers, et refusons d’être payés pour tirer sur nos amis, nos frères et nos sœurs », ont déclaré des soldats de l’importante base militaire du district de Soanierana, en périphérie d’Antananarivo, dans cette vidéo.
En 2009, cette base a mené une mutinerie lors du soulèvement populaire qui a porté au pouvoir l’actuel président, Andry Rajoelina. « A tous les militaires, ceux qui sont prêts à prendre leur responsabilité, rejoignez immédiatement le Capsat (…) Vous, les militaires aux palais présidentiels d’Iavoloha et d’Ambohitsorohitra, quittez votre poste et rejoignez vos camps d’origine (…) Vous qui êtes à Ivato, empêchez tous les aéronefs sans distinctions de décoller », ajoutent les militaires.
Tensions entre l’armée et le pouvoir
« Fermez les portails et attendez nos instructions. N’obéissez plus aux ordres venant de vos supérieurs. Braquez vos armes [sur] ceux qui vous ordonnent de tirer sur vos frères d’armes car ce ne sont pas eux qui vont s’occuper de notre famille si jamais on meurt », ont-ils ajouté. Le nombre de soldats ayant répondu à cet appel n’était pas connu dans l’immédiat.
Le mouvement Gen Z a appelé M. Rajoelina à démissionner et présenté une liste de revendications écrites comprenant « le lancement d’un dialogue national démocratique » et « l’accès universel aux services essentiels », de l’eau à l’emploi. « Nous réaffirmons fermement que nous ne cherchons pas à organiser un coup d’Etat ni à prendre le pouvoir par la force », a déclaré le mouvement dans un communiqué, tout en remerciant le Capsat pour son « geste puissant et historique ».
Le nouveau ministre des armées, lors d’une conférence de presse, samedi, a appelé les troupes au calme. « Nous appelons nos frères qui ne sont pas d’accord avec nous à privilégier le dialogue », a déclaré le général Deramasinjaka Manantsoa Rakotoarivelo. « L’armée malgache demeure un médiateur et constitue la dernière ligne de défense de la nation », a-t-il ajouté.
Le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a appelé vendredi les autorités malgaches à « cesser le recours à une force inutile » au lendemain de manifestations à Antananarivo ayant fait de nombreux blessés parmi les contestataires.
Au moins vingt-deux personnes ont été tuées au début des manifestations commencées le 25 septembre et plus d’une centaine blessées, d’après un bilan du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme daté du 29 septembre. Le mouvement de protestation contre les coupures d’eau et d’électricité a mué en une contestation du pouvoir, incarné par le président Andry Rajoelina, 51 ans.
Le président Rajoelina a démenti des « chiffres erronés », mercredi, estimant les « pertes de vies » à douze, tous « des pilleurs, des casseurs », selon lui. Après un ton conciliant et le renvoi du gouvernement, le président a pris un tournant sécuritaire en nommant un militaire comme premier ministre ainsi que seulement trois nouveaux ministres jusqu’ici : ceux des armées, de la sécurité publique et de la gendarmerie.
RSA avec AFP
Discussion à propos du post