Pour des questions impératifs économiques, sociaux ou environnementaux, certains pays à l’instar de l’Indonésie ou de la Birmanie décident de déplacer leur capitale pour se développer et impulser une nouvelle dynamique nationale. Pour le premier, cette réforme est une réponse à la montée des eaux qui menace Jakarta. L’Égypte, quant à elle, ambitionne d’ériger une nouvelle capitale : un projet titanesque.
C’est le plus grand chantier du continent africain, situé à environ 35 kilomètres à l’est du Caire. Il a été présenté dans une station balnéaire, Sharm Al Sheikh, à l’occasion de la conférence sur le développement économique en Égypte – CDEE en 2015, par le chef de l’État actuel, Abdel Fattah Al-Sissi. Établir une nouvelle capitale administrative est loin d’être une idée nouvelle. A l’époque contemporaine, il faut remonter à Anouar Al Sadate, troisième président égyptien, après l’ère nassériste : « Sadate City en 1976 et Future City dans les années 90 devaient […] jouer le rôle de capitales administratives mais n’ont été que partiellement construites ».
En déplaçant les centres du pouvoir du Caire vers une toute nouvelle agglomération qui sort de terre, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi cherche à éloigner toute contestation de son régime, selon des sources.
En juillet 2021, des fonctionnaires vont commencer à transférer la nouvelle capitale administrative, en prévision de l’inauguration, prévue pour la fin de l’année. Ce méga projet s’inscrit dans une politique d’urbanisme à grande échelle. Celle-ci prévoit des investissements dans les infrastructures de transport (routes et ponts), la réhabilitation des bidonvilles et la construction de villes nouvelles.
Le tout dans le respect d’impératifs économiques et sécuritaires imposés par le régime, plus que dans l’intérêt général ou dans un esprit de développement durable. De fait, le régime entend transformer radicalement le paysage urbain national en mettant l’accent sur Le Caire. But de l’opération : minimiser les risques d’émeutes urbaines, tout en permettant, si nécessaire, de déployer une répression massive.
La nouvelle capitale administrative, dont le budget est estimé à 58 milliards de dollars, est le plus beau fleuron de cette stratégie d’aménagement. La nouvelle capitale est le projet le plus cher jamais entrepris par Sissi : il éclipse les 8 milliards de dollars alloués au nouveau canal de Suez. Ce projet représente 46 % de la dette étrangère de l’Égypte, qui a atteint 125 milliards de dollars au premier trimestre de 2020. Il est devenu la vitrine du régime. Située dans le désert à l’est du Caire, la nouvelle capitale abritera le palais présidentiel, des bâtiments administratifs et un quartier d’affaires.
Elle pourra héberger une population d’environ 6 millions d’habitants. De toute évidence, il s’agit de mettre le centre politique et économique à l’écart du Caire, ville sujette à l’agitation. L’immense majorité des Égyptiens n’aura absolument pas les moyens de s’installer dans la nouvelle capitale, où un deux-pièces sera proposé à 62 000 dollars, alors que le PIB par habitant est autour de 3 000 dollars. Cette nouvelle capitale sera donc réservée aux élites égyptiennes, ou du moins à la frange de la population la moins susceptible de se révolter, à savoir celle qui forme l’essentiel du soutien au régime parmi les civils.
À travers cette stratégie d’aménagement, le régime crée un nouvel espace urbain où la possibilité d’agitation est limitée et où le centre du pouvoir politique sera entouré par une population acquise au régime.”
Dans les faits, le régime se séparera matériellement du Caire et de ses rues étroites, où il est plus difficile de maintenir l’ordre et où la masse des pauvres peut déstabiliser les autorités, que ce soit par des grèves, l’occupation d’espaces urbains, ou des confrontations violentes avec les forces de l’ordre.
Deux ambitions symboliques : Smart City et city branding – A travers ce projet pharaonique, le gouvernement égyptien entend développer une stratégie de puissance, ou d’apparence de puissance. Cette nouvelle capitale présentée comme une ville futuriste, respectueuse de l’environnement et intelligente, une Smart City à l’égyptienne, s’inscrit dans le cadre de la mondialisation et de ses dynamiques de métropolisation.
Le projet vise donc à montrer au monde que l’Egypte possède les attributs de développement des grandes puissances, et a vocation à bénéficier des flux privilégiés qui définissent les échanges entre les villes-monde pour intégrer l’archipel mégalopolitain mondial. Devenir une véritable puissance émergente, une vitrine de la modernité : des ambitions que le gouvernement souhaite concrétiser. City branding ou marketing urbain : cette stratégie met l’accent sur les villes à l’échelle internationale pour attirer les investisseurs.
Par Regard Sur l’Afrique
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