Le 23 décembre 1956, l’Assemblée législative du Cameroun (Alcam) remplace l’Assemblée territoriale du Cameroun (Atcam) et des élections législatives sont prévues. Les candidats peuvent se présenter en leur nom propre. Mbida et son équipe (Cococam et membres affiliés) prennent part à cette élection législative.
À l’Alcam, ceux-ci créent le groupe parlementaire nommé les Démocrates camerounais (DC), lequel deviendra plus tard le Parti des démocrates camerounais. Ce groupe est composé de 21 membres et Mbida est son leader. Mbida met alors en place l’autonomie interne du Cameroun sous tutelle française. Le 16 avril 1957, le Cameroun devint un État autonome. Pierre Messmer décide de le nommer Premier ministre, après avoir toutefois hésité avec Ahidjo.
Le 12 mai 1957 , par 56 voix pour, 10 voix contre et 4 abstentions, il est officiellement désigné premier Premier ministre, premier chef de gouvernement et chef de l’État de facto du Cameroun autonome de langue française.Cette désignation était très symbolique parce qu’il était le deuxième Premier ministre africain natif dans le continent noir et le premier chef de l’État de fait du Cameroun.
De passage à Paris en septembre 1957, il présente le Cameroun comme un État-pilote en Afrique, justifie la tutelle conservée par la France en attendant l’indépendance complète et une place à l’ONU, et annonce que cette évolution renforce l’amitié franco-camerounaise.
Par ailleurs, il affronte ouvertement les Français, ce qui plaît considérablement à la population. C’est ainsi qu’il décide de mettre fin à la ségrégation raciale qui a lieu dans les quartiers où vivent les Blancs et dans les bistrots qu’ils tiennent. Il ordonne aux colons de retirer de leurs cafés les affiches plus qu’offensantes qu’ils y ont apposées et qui portent la mention « interdit aux chiens et aux Noirs ».
Tout colon accusé de racisme est aussitôt expulsé, sur son ordre, du territoire camerounais, dès qu’il en est informé. Ainsi en quelques mois seulement de pouvoir, André-Marie Mbida procède à l’expulsion de plus de Français qu’il n’y en a eu en 49 ans d’indépendance.
L’HYPOTHESE D’UN RETOUR DE MBIDA AU POUVOIR EN 1968 …
Contre toute attente, Paris avait envisagé de remettre Mbida André-Marie au pouvoir à Yaoundé, face au refus d’Ahmadou Ahidjo de soutenir la sécession biafraise.
En effet, un avion bourré d’armes et de munitions avait, pour des raisons techniques, atterri à l’aéroport de Garoua. Il provenait du Soudan et se rendait à Enugu, capitale du Biafra. La douane camerounaise avait décidé de procéder à l’inspection de l’avion, et avait découvert sa cargaison. L’équipage avait été aussitôt mis aux arrêts.
Les autorités camerounaises avaient tout d’abord pensé que ces armes étaient destinées à ravitailler le maquis de l’UPC, et que la destination de l’avion, Enugu, était mensongère. Ouandié était encore en activité dans le Mungo, et Woungly Massaga quant à lui opérait dans le Dja & Lobo, soutenu par le gouvernement du Congo-Brazzaville et armé par les Cubains. Une telle cargaison d’armes aurait incontestablement redynamisé le maquis de l’ouest comme celui du Sud.
Mais, au terme de l’interrogatoire de l’équipage de l’avion, il avait été rapidement établi que ce dernier n’avait aucune connexion avec l’UPC. Il diligentait effectivement sa cargaison vers Enugu. Le président Ahidjo avait, de ce fait, ordonné la saisie des armes et de leur remise à l’armée camerounaise.
Rapidement mise au courant, l’ambassade de France était intervenue. Elle s’était mise à exiger du gouvernement camerounais la relaxe des pilotes et de l’avion, avec naturellement sa cargaison. Le président Ahidjo, irréductiblement opposé à la sécession biafraise, naturellement en pensant au Cameroun, avait refusé d’obtempérer. Crise.
Au bout de mille pressions, essentiellement de Paris, Seuls les pilotes et l’avion avaient finalement été relaxés, mais nullement la cargaison d’armes. Cette dernière avait été remise à l’armée nationale.
Cette attitude d’Ahidjo avait, au plus haut point, irrité l’Elysée. Il y a tout lieu de valablement penser que le gouvernement français était probablement à l’origine de l’opération. Si tel n’était pas le cas, estimait-on, il la soutenait. Il y était partie prenante. Il livrait des armes aux sécessionnistes à partir du Gabon. Mais, voilà qu’Ahidjo la contrecarrait.
Tout porte à croire que l’idée de le renverser avait véritablement été renforcée à la faveur de cette crise feutrée — car les journaux n’en avaient pas parlé, en France, bien entendu, mais également au Cameroun, le grand journal de l’époque, « La Presse du Cameroun », étant un journal aux mains de colons français, et de ce fait, influencé, voire contrôlé, au niveau du contenu, par l’ambassade de France à Yaoundé.
Remplacer Ahidjo par qui ? Grosse question. Puis, comment ? Equation presqu’insolvable.
N’empêche, l’ambassade de France avait été chargée d’identifier la personne la plus indiquée du moment pour la hisser au pouvoir en lieu et place d’Ahidjo. Tâche ô combien ardue, tous les hommes politiques de premier plan ayant été anéantis, soit par la prison, soit par l’exil, soit par leur renoncement à poursuivre quelle que activité politique que ce soit, à l’exemple de Soppo Priso, cela étant devenu particulièrement périlleux. Il y avait la prison … ou la mort, en se hasardant à continuer à affronter Ahmadou Ahidjo, protégé et obligé de Paris. Okala Charles, anéanti. Assale charles, anéanti. Kemajou Daniel, anéanti. Ndjiné Michel, anéanti. Eyidi Bebey, décédé.
Malgré tout, il existait d’autres figures, moins inquiétantes pour Paris. Apparemment il fallait, pour des raisons propres à l’Elysée, identifier un Beti. Vincent de Paul Ahanda. Niet. Premier ministre démissionnaire deux années auparavant, il s’était brouillé avec Paris. Il avait en effet refusé de se plier à d’inacceptables exigences de l’ambassadeur de France à Yaoundé. Il se raconte que courroucé, il aurait asséné à ce dernier deux retentissantes gifles sur les joues au cours d’un entretien houleux.
Tchoungui Simon-Pierre. Peut-être. Il était le Premier ministre en fonction. Mais, aurait-il accepté ? Il donnait l’impression d’être beaucoup trop lié à Ahidjo. Tsala Mekongo Germain, grand cadre du PDC, parti de Mbida, et ex-ministre. Il n’était pas réputé anti-français. Pour son malheur, cependant, il n’avait pas atteint le poste de Premier ministre. En conséquence, malgré son influence …
Dans cette recherche d’un homme à remplacer Ahmadou Ahidjo, finalement, plusieurs ex-cadres du PDC, Parti des Démocrates Camerounais, de Mbida André-Marie, par miracle encore en liberté à l’issue de la terrible répression consécutive aux législatives fédérales du 26 avril 1964 qui s’était abattue sur eux, à l’instar de Tsala Makongo cité ci-dessus, avaient été approchés. L’idée : ramener Mbida, ancien Premier ministre, aux affaires. Mais, il était devenu aveugle. Son emprisonnement par Ahidjo lui avait été fatal. Il en avait perdu la vue. Détenu à Ngaoundéré, il avait été extrêmement maltraité. Comment installer un non-voyant au pouvoir ? Impossible …
Cette affaire avait fait couler énormément de salive à Yaoundé : « Paris cherche à chasser Ahdjo et ramener Mbida au pouvoir … ». La surveillance du domicile de ce dernier avait été renforcée. Bien mieux, c’est tout le quartier où il résidait qui s’était retrouvé infesté d’agents de Fochivé, le terrible patron de la police politique et redoutable tortionnaire en chef du régime d’Ahmadou Ahidjo. Il fallait tenir à l’œil Mbida, même devenu aveugle. Les visites de ses amis avaient été interdites, tout bonnement. Le pouvoir de Yaoundé avait pris très au sérieux les manigances de la France. Ne venait-elle pas, quelques années auparavant, de faire tomber au Togo Sylvanus Olympio et de le laisser assassiner ?
Le temps s’était mis à passer, dans la plus grande inquiétude d’Ahmadou Ahidjo. Puis, à Paris, pour son bonheur, Charles de Gaulle, le président de la République française, est parti du pouvoir. Le peuple français avait voté « non » à un referendum qu’il avait organisé. Il avait ressenti cela comme un affront, lui, le grand de Gaulle, sauveur inespéré de la France en 1940, et avait démissionné, sans autre forme de mesure, de ses fonctions.
Cette situation nouvelle visiblement a abouti au classement pur et simple de ce dossier de « punition-renversement » d’Ahmadou Ahidjo pour refus de soutien de la sécession biafraise ainsi que le lui avait demandé Paris. Il ne sera repris qu’une décennie plus tard, par Giscard d’Estaing, mais pour d’autres raisons …
Avant-propos
- Chapitre I :
- La remise de la base militaire française de Koutaba au gouvernement camerounais en 1964 : un gros handicap par la suite pour Paris.
- Chapitre II :
- L’absence d’ex-« tirailleurs » français au sommet de l’armée camerounaise comme ailleurs en Afrique à utiliser pour un coup d’Etat.
- Chapitre III :
- L’hypothèse d’un retour de Mbida au pouvoir en 1968 …
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La sécession du Biafra est un mouvement indépendantiste de la région de l’Est du Nigeria, peuplée majoritairement par le peuple Igbo, qui a mené à la Guerre du Biafra de 1967 à 1970. Proclamée en mai 1967 sous la direction du colonel Odumegwu Ojukwu,
Regard Sur l’Afrique avec Dieudonné Enoh
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