La proposition de la Commission pour le renforcement des frontières alloue pour la première fois plus d’argent au contrôle de l’immigration qu’à l’aide au développement pour l’Afrique.
L’Europe, qui s’enorgueillit d’être le plus grand donateur d’aide au développement du monde, est en passe de changer de cap en mettant l’accent sur le principe de « fortification » du continent?
Les propositions de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), le budget européen à long terme pour la période 2021-2027, reflètent ce changement.
L’exécutif entend en effet augmenter les fonds dédiés à l’Afrique subsaharienne de 32 %. Ceux-ci passeraient donc de 26,1 milliards à 32 milliards d’euros, sans tenir compte de l’inflation.
Comme des représentants de la Commission l’ont confirmé, si l’on tient compte de l’inflation des prix pour 2018, le volume de l’aide pour la période 2014-2020 serait en réalité de 26,6 milliards d’euros et celui du prochain CFP serait de 28,3 milliards. En chiffres réels, l’augmentation n’est donc plus que de 7 %, une augmentation anecdotique comparée à la hausse des budgets alloués à l’immigration et à la gestion des frontières.
La Commission souhaite attribuer une enveloppe de plus de 30,8 milliards d’euros (en prix courants pour 2018) à la sécurisation des frontières externes et à la gestion migratoire pour la période 2021-2027, soit un volume plus élevé que celui qui serait donné à toute l’Afrique subsaharienne.
+ 200% pour les frontières
La plus grande partie de ce budget (18,8 milliards) serait dédiée à la gestion des frontières. Cela représente une augmentation de près de 200 % par rapport au budget actuel de 5,6 milliards.
Au sein de cette catégorie, 10,6 milliards seraient utilisés pour alimenter des agences décentralisées, principalement l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, dont le personnel devrait être multiplié pour atteindre 10 000 garde-frontières et agents.
Par ailleurs, environ 10 milliards seraient investis dans la gestion de l’immigration, notamment via le Fonds pour l’asile et l’immigration, qui aide les États membres à faire face aux arrivées massives de migrants. Cette catégorie inclut donc l’asile, l’immigration légale et l’intégration, mais au moins la moitié de cette enveloppe pourrait aussi servir à contrer l’immigration illégale, à renvoyer des migrants dans leur pays d’origine et à soutenir les États membres à protéger leurs frontières en cas d’urgence.
L’UE dispose d’autres instruments pour aider l’Afrique : le Fonds fiduciaire UE-Afrique et certains volets de son plan d’investissement externe. Cependant, la plupart des financements du Fonds fiduciaire proviennent de l’enveloppe générale allouée à l’Afrique (environ 3,5 milliards d’euros), notamment dans le cadre du Fonds européen de développement.
Outre l’assèchement des fonds européens, les aides provenant des États n’arrivent pas. Sur un total de 439 millions d’euros promis par un groupe d’États membres et externes, dont la Norvège et la Suisse, seuls 393 millions ont pour l’instant été versés.
En ce qui concerne le plan d’investissement pour l’Afrique, la Commission y a contribué à hauteur de 4,4 milliards d’euros, mais toujours via des outils comme le Fonds de développement ou l’instrument de coopération au développement, déjà comptabilisés dans l’enveloppe africaine.
Dans le cadre du « Plan Juncker pour l’Afrique », l’UE espère mobiliser environ 44 milliards d’euros d’investissements, notamment en offrant des garanties, de fonds privés.
En ce qui concerne son « voisinage », soit les pays des Balkans, de l’Est et du sud de la Méditerranée, l’UE a alloué 22 milliards d’euros pour la période 2021-2027. La répartition par pays et par priorités sera réalisée durant la phase de programmation, une fois la proposition générale adoptée par le Parlement européen et le Conseil, a rappelé l’exécutif.
La proposition de budget sera discutée dans les mois à venir au Parlement européen et entre les États membres.
Chute du nombre d’arrivées
L’augmentation du budget de défense des frontières intervient alors que le nombre d’arrivées de migrants en Europe a chuté d’environ 80 % par rapport à l’année dernière. Pourtant, un nombre croissant d’États membres, menés par le groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), l’Autriche et le nouveau gouvernement italien, militent en faveur d’une fortification de l’UE.
Un contraste frappant avec 2015, lorsque l’annonce du naufrage moderne le plus meurtrier en Méditerranée, qui a tué environ 800 migrants, et l’image d’un garçon syrien noyé sur la côte turque avaient déclenché une vague de solidarité en Europe avec les nouveaux arrivants.
Cette année-là, le nombre d’arrivées par voie maritime avait atteint le chiffre record de 1 015 078, selon l’UNHCR.
Causes profondes
Certains hauts fonctionnaires de l’UE insistent toujours pour que davantage de ressources soient allouées à l’Afrique.
Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a ainsi déclaré que le « devoir premier de l’Europe » devrait être de combattre les causes profondes des flux migratoires, y compris l’instabilité et l’insécurité dans de grandes régions de l’Afrique, ainsi que la pauvreté, la famine et le changement climatique sur le continent.
D’ici 2050, la population africaine devrait doubler pour atteindre plus de 2,5 milliards d’habitants. Antonio Tajani a rappelé que si l’Europe n’agissait pas, les milliers d’arrivées dont certains s’affolent aujourd’hui se transformeraient en millions.
« Nous verrons alors des mouvements bibliques de personnes du Sud vers le Nord », a-t-il déclaré aux journalistes début juillet, à l’occasion du début de la présidence autrichienne de l’UE.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a indiqué lors de la même conférence de presse qu’il n’était « pas correct de dire que nous ne faisons rien pour l’Afrique », citant le plan d’investissement pour l’Afrique et le Fonds fiduciaire.
S’exprimant aux côtés des deux présidents, le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a pour sa part annoncé qu’il y aurait un « changement de paradigme » dans la manière dont la question migratoire serait abordée durant la présidence autrichienne. Sa priorité absolue sera de sécuriser les frontières extérieures de l’UE.
Les déclarations du chef du Parti populaire autrichien illustrent le durcissement des positions des partis dominants à l’égard des réfugiés ces derniers mois. Après sa victoire aux élections d’octobre dernier, Sebastian Kurz a formé un gouvernement avec le Parti de la liberté d’extrême droite.
Africa24monde Avec euractiv.fr Par Jorge Valero
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