Finie, l’admiration pour la particularité française du système électoral à deux tours ? Pour la presse étrangère, la nouvelle Assemblée et l’inconfortable position dans laquelle se retrouve Emmanuel Macron montrent la “déliquescence” du système.
Le système électoral français est à l’agonie, selon la presse étrangère. Et ce serait une bonne nouvelle, car pour Unherd “la France possède le pire système électoral du monde”. Le site britannique avance plusieurs arguments. D’abord, entre les législatives et la présidentielle, “les Français votent quatre fois pour se doter d’un nouveau gouvernement.”
“Et si cela ne suffisait pas à mettre tout le monde de mauvaise humeur, ce système encourage par-dessus le marché une pratique délétère, celle du vote tactique.”
De fait, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours de l’élection présidentielle ne permet qu’à deux candidats de se qualifier pour le second tour, “et les partisans de toutes les autres formations en sont réduits à choisir lequel des deux finalistes ils ont le plus envie de sortir”. Même mode de scrutin aux législatives, avec des règles de représentativité confinant à la bataille arithmétique.
Manque de représentativité
Le système électoral français n’est donc pas du tout représentatif, affirme le journal allemand Der Spiegel, en se penchant sur les législatives de 2017. Les chiffres montrent que “la répartition des sièges à l’Assemblée nationale diffère considérablement des résultats du premier tour : le parti de Marine Le Pen, qui s’appelait à l’époque le Front national (FN), avait réuni 13,2 % des voix au premier tour mais n’avait obtenu que 8 députés, soit un peu plus de 1 % des sièges.”
En réalité, c’est Emmanuel Macron qui avait le plus tiré profit du mode de scrutin : avec 28,2 % des voix au premier tour, il avait obtenu 308 des 577 sièges à l’Assemblée, soit plus de 50 %.
Résultat, alors que “l’extrême droite blanche a [en France] son plus grand parti” – et qu’un Le Pen a été au second tour de trois des cinq dernières élections présidentielles –, “au Parlement français, l’antique pratique du front républicain cantonnait les nationalistes dans les marges, explique le Telegraph. Ce contraste avait tout d’un miroir déformant.”
Barrage rompu
Du moins, jusqu’à dimanche dernier. Ce 19 juin, le RN est passé de 8 à 89 sièges à l’Assemblée nationale, devenant le premier parti d’opposition en nombre de députés.
Pour le Telegraph, à Westminster (où siège le Parlement du Royaume-Uni) un tel revirement serait presque impossible. “C’est l’une des grandes vertus de notre système électoral actuel [scrutin uninominal majoritaire à un tour] : sans empêcher les percées des partis minoritaires, il dresse devant eux des obstacles raisonnablement élevés.”
En France, c’est le front républicain qui “barrait la route” aux extrêmes. Jusqu’au “déluge de voix et de sièges” de cette année, qui, pour Il Giornale, est lié à la stratégie d’Emmanuel Macron.
“Le président avait très bien su, lors de son premier mandat, canaliser le mécontentement modéré des socialistes et des Républicains en dirigeant leurs voix vers son parti, au centre.”
Cependant, sa réussite avait fragilisé la tradition politique française et les partis historiques de la droite et de la gauche modérées. Le vote de cette année ne fait donc que confirmer “l’état de déliquescence d’un système électoral qui montre depuis longtemps ses difficultés à survivre”.
Avec l’abstention massive et des manifestations incessantes, “le dernier stade de la décomposition du système des partis et d’opposition à l’État central et à l’Élysée est terminé”, conclut le Corriere.
La crainte d’une France “ingouvernable”
Au-delà de “l’humiliation” infligée à Emmanuel Macron deux mois après son élection, la polarisation du Parlement en “trois camps que tout oppose” fait naître le risque d’une France “ingouvernable”, analyse la presse internationale. Une perspective inquiétante pour le pays et pour l’Europe.
La Première ministre, Élisabeth Borne, l’a reconnu elle-même dimanche soir : les résultats des élections législatives créent une “situation inédite” susceptible de représenter “un risque” pour la France. Selon le décompte du journal Le Monde, le camp présidentiel a obtenu 246 sièges, très loin de la majorité absolue (289), l’alliance de gauche Nupes 142, le Rassemblement national 89 et Les Républicains-UDI 64.
“La politique française a commencé dimanche un voyage vers une destination qu’elle n’a pas connue depuis des décennies”, s’inquiète le correspondant à Paris du quotidien catalan de centre gauche El Periódico. Un avis partagé par son collègue d’El Mundo : “La France s’aventure en terre inconnue et pleine d’incertitudes.”
Deux mois à peine après son élection, Emmanuel Macron était dimanche soir “un président très affaibli, au bord de l’abîme d’une France ingouvernable, avec un Parlement hostile et partagé en trois blocs, dont deux extrêmes”, poursuit le quotidien madrilène de centre droit. C’est donc “un mandat très différent du premier” qui attend le chef de l’État, “car pour faire appliquer son programme, il devra nouer des alliances, négocier, et céder”.
“Le quinquennat qui s’ouvre va être très compliqué”, prévient Gilles Ivaldi, chercheur en sciences politiques, dans les colonnes du Temps. “La polarisation qui sort des urnes forme trois camps qui s’affrontent et que tout oppose. L’Europe, l’économie, l’immigration, la sécurité, ils ne sont d’accord sur rien.”
“Pour un pays qui fait face à plusieurs crises et qui a besoin de consensus, on va avoir une vie politique structurée par trois blocs que rien ne réunit, ce qui laisse augurer des temps assez troubles.”
“La France va être très difficile à gouverner”, renchérit la BBC. La radiotélévision britannique souligne le poids des extrêmes, à gauche comme à droite, qui vont “prendre en tenaille” le gouvernement et “faire tout leur possible pour empêcher le passage de nouvelles réformes, comme celle des retraites”. En outre, “portés par leur nouvelle légitimité, ils n’hésiteront pas à faire appel à la rue quand ils en auront besoin”.
Face à une Nupes et un Rassemblement national remontés à bloc, et avec des Républicains déjà divisés sur la stratégie à adopter vis-à-vis de la majorité présidentielle, Emmanuel Macron ne peut guère espérer d’alliance stable, note l’édition européenne de Politico. “Il s’agira plus probablement de collaborations au coup par coup, synonymes de négociations interminables sur les projets de loi, et d’accord bancals”, prédit le site.
C’est un scénario “totalement inédit pour la tradition politique et institutionnelle du régime présidentiel français, et qui remet tout en jeu : les réformes libérales, mais aussi la position internationale de la France sur l’Europe et sur la guerre en Ukraine”, observe La Stampa. “La position européenne et internationale de la France devient beaucoup plus incertaine.”
Assemblée antieuropéenne
Le Washington Post remarque lui aussi que le “camouflet” subi par Emmanuel Macron va “compliquer” sa présidence “à un moment où l’Europe fait face à des défis fondamentaux, provoqués par la guerre en Ukraine”.
“Inquiétant, le résultat de ces législatives l’est aussi pour l’Europe”, insiste Le Soir. “Avec la France qui se réveille ingouvernable, c’est la seule puissance nucléaire de l’Union qui est affaiblie. Et on se demande évidemment comment va se positionner la France dans les crises majeures actuelles (la guerre en Ukraine, le plan de relance économique, la crise environnementale) avec une Assemblée aussi divisée et qui n’a sans doute jamais été aussi antieuropéenne.”
Au diapason du quotidien bruxellois, La Libre Belgique évoque une “triste soirée pour l’Europe”. “La France de Macron, dans le contexte géostratégique que l’on connaît, aurait dû jouer un rôle moteur avec l’Allemagne pour faire face aux défis gigantesques que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pose aux Européens (défense, transition énergétique, etc.). Voilà le président désormais affaibli avant même d’avoir réellement commencé.”
Par Regard Sur l’Afrique et Courrier international
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