L’armée malienne mène depuis le mois de décembre des opérations antiterroristes d’ampleur contre les jihadistes du Jnim et de l’EIGS. Les soldats maliens en paient d’ailleurs le prix fort, comme en a témoigné la récente attaque du camp de Mondoro. Mais de nombreux témoignages font également état d’exactions, d’actes de torture et d’exécutions sommaires de civils, commises par les forces maliennes. Fousseynou Ouattara est le vice-président de la commission Défense du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition malienne. Il est aussi président du Collectif pour la refondation du Mali (Corema), qui rassemble des associations et des partis soutenant les autorités de transition. Invité Afrique matin de RFI, il répond aux questions de David Baché.
De nombreux témoignages ont été diffusés ces derniers jours -une enquête de RFI, mais également des rapports d’organisations de défense des droits humains- qui font état d’exactions de l’armée malienne au cours d’opérations antiterroristes. Votre réaction ?
Fousseynou Ouattara : Quand on parle d’exactions, je suis étonné que tout le temps c’est l’armée malienne qui est indexée. Je pense que toujours il est plus facile d’accuser l’armée malienne. Les gens qui le font ne sont pas généralement sur le terrain. Il faut être sur le terrain pour savoir comment on peut identifier un terroriste d’un simple civil. Nous on leur demande de nous donner l’algorithme pour pouvoir identifier avant de tirer. Les autres tirent comme nous, mais pourquoi trouve-t-on que c’est l’armée malienne qui fait des exactions ?
Human Rights Watch, organisation de défense des droits humains, parle d’au moins 71 civils tués depuis le mois de décembre, et évoque des actes de torture, des exécutions sommaires, des charniers, des pillages…
En 2012, 2013, quand tout cela a commencé, quand les Maliens ont fait appel à la France avec Serval, on avait 300 villages qui étaient occupés, sur (« comparé à », ndlr) 16 000 quand Barkhane est venu, sur neuf ans…
Mais là il ne s’agit pas de Barkhane, on parle de l’armée malienne…
J’en viens. Je veux dire, que ce qu’on a su, c’est que chaque année la France donnait un peu plus d’un milliard pour ça. Ça veut dire que c’est à peu près deux milliards de francs CFA qui étaient dépensés pour pouvoir sécuriser le Mali, sur neuf ans. Voilà le résultat : 16 000 villages étaient occupés. Maintenant, en quatre mois, l’armée malienne, avec un peu de moyens, sur les 16 000 villages, on en a libéré aujourd’hui 12 000 villages. Il y a plus de 80 000 déplacés qui ont regagné leur logement. Les résultats que l’armée malienne a pu avoir avec peu de moyens, et voir que la France a dépensé chaque jour 2 000 milliards sur 3 204 jours, si vous prenez cela, il y a des gens qui ne veulent pas qu’on fasse un tel bilan. Donc, pour que ce bilan ne soit pas fait, on essaie de noircir l’armée malienne.
C’est un bilan contesté par de nombreuses sources sécuritaires ou locales, qui estiment que des villages présentés comme libérés, par exemple Farabougou, ne le sont pas en réalité. Mais surtout, monsieur Ouattara, cela ne change rien aux allégations d’exactions formulées par des Maliens et qui concernent des crimes commis contre des civils maliens ?
Est-ce que vous avez le nom de ces Maliens-là, qui témoignent de cela ? Vous savez dans certains villages, la situation est telle que si vous donnez de l’argent à un Malien, un pauvre qui souffre, il vous dira tout ce que vous voulez.
Donc pour vous c’est un complot, une campagne de diffamation ?
Bien sûr, c’est un complot, c’est ça que je vous dis. Les succès que l’armée malienne a remportés, on ne veut pas que cela soit su.
En tant que vice-président de la commission défense du CNT, la représentation nationale, est-ce que vous comptez quand même demander des éclaircissements aux autorités sur ces allégations d’exactions ?
Nos soldats suivent tout le temps des cours sur le respect des droits de l’Homme. Aujourd’hui, la Cour de justice militaire est opérationnelle. Tout acte d’exaction rapporté, il y a les procureurs qui sont là, qui mènent des enquêtes. Déjà, il y a eu des soldats qui ont été punis, donc notre justice fonctionne très bien.
Au-delà des allégations d’exactions, les témoignages rapportés par RFI ou Human Rights Watch indiquent que les Russes qui sont aux côtés de l’armée malienne sont sur le terrain, et qu’ils participent aux opérations de l’armée malienne…
Ça, c’est de la manipulation pure et simple. Surtout, vous m’excusez, on parle sur RFI, je parle avec vous, j’ai du respect pour vous, mais pour moi RFI n’a pas de crédibilité.
Alors, de très nombreux pays occidentaux affirment que ce sont les mercenaires du groupe Wagner qui sont déployés au Mali. Les autorités maliennes démentent et parlent d’une coopération d’État à État. Plus généralement, le gouvernement de transition n’a communiqué aucun détail sur le nombre, sur les missions de ces supplétifs russes, ni sur les éventuelles contreparties, financières ou minières… Est-ce que les citoyens maliens ne méritent pas d’être davantage informés sur ces choix stratégiques et souverains ?
Les citoyens maliens sont bien informés de tout cela. Il n’y a pas de Wagner au Mali.
Mais sur le nombre, sur le coût des combattants russes au Mali ?
Il n’y a pas de combattants russes au Mali, c’est ça que je vous dis. Il y a une mission militaire russe au Mali qui est là depuis longtemps. Et quand on achète par exemple les hélicos et consort, il y a les instructeurs qui viennent. Là, leur rôle s’arrête à apprendre à nos militaires comment manier certaines choses. Ils ne sont jamais sur le terrain. Et tous ceux qui disent qu’ils sont sur le terrain, les gens n’ont jamais montré de preuve de cela.
L’attaque du camp de Mondoro, au début du mois, a coûté la vie à au moins 27 soldats maliens -que la terre leur soit légère. Est-ce qu’on connaît aujourd’hui le bilan définitif de cette attaque, à laquelle les Fama ont d’ailleurs riposté ?
Quand nous sommes en guerre, tous les bilans sont toujours provisoires. Parce que les blessés, il y en a qui peuvent guérir, il y en a qui peuvent ne pas guérir. Mais pour le moment, le bilan qui a été publié par la Dirpa, c’est le bilan officiel et il faut s’arrêter à cela.
La Mauritanie accuse l’armée malienne de « crimes récurrents » contre ses ressortissants. Une commission d’enquête mixte, malienne et mauritanienne, a été mise en place. Son travail a-t-il débuté ?
La Mauritanie n’a jamais accusé l’armée malienne. La Mauritanie a fait constater que l’on a fait croire que c’est l’armée malienne. Aujourd’hui, on a mis une commission en place pour mener des enquêtes. Donc la Mauritanie n’a jamais accusé l’armée malienne. Ceux qui ont commis ces forfaits-là, c’est ça qu’ils voulaient, que l’armée malienne soit accusée pour mettre le Mali et la Mauritanie dos à dos. Mais malheureusement, leur plan n’a pas fonctionné.
Et le travail de cette commission d’enquête a commencé ?
Mais bien sûr ! C’est une commission qui vient tout juste d’être mise en place, donc il faut lui donner le temps de ramasser les éléments de preuves et de donner ses conclusions.
Regard Sur l’Afrique avec RFI Par David Baché
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