En ce 06 novembre 2021, Paul Biya et avec lui le RDPC (anciennement UC/UNC) célèbrent 39 ans de pouvoir de l’actuel chef de l’Etat du Cameroun. Par un hasard de l’histoire, le mandat en cours a été inauguré le 06 novembre 2018.
De ces 39 ans à la tête de l’Etat, il y a les 10 ans (parfois chaotiques) qui relèvent du système du parti unique. En effet, la première élection présidentielle du retour au multipartisme a eu lieu le 11 octobre 1992 inaugurant un mandat de cinq ans.
La constitution de janvier 1996 va apporter une nouvelle modification au jeu politique avec un mandat présidentiel de 7 ans renouvelable une fois. L’élection présidentielle du 12 octobre 1997 ouvre donc une nouvelle ère politique. Le verrou de la limitation des mandats sera levé en avril 2008 permettant au titulaire de la fonction présidentielle de se représenter autant de fois que possibles.
Au moment où ce mandat inauguré le 06 novembre 2018 se trouve à mi-parcours, il se pose la question de la succession présidentielle au regard de certains faits et enjeux politiques. Comme fait social et politique, il y a l’âge du président de la République. Né le 13 février 1933, Paul Biya aura 92 ans en 2025. Le renouvellement des organes de base du RDPC qui vient de s’achever avec des passions politiques parfois violentes tant physiques que verbales donne à voir que Paul Biya prépare sa sortie. La médiatisation d’une potentielle candidature de son fils et des appels à Paul Biya de continuer à assurer la magistrature suprême au-delà de 2025 portent à croire qu’en réalité Paul Biya en est à son dernier mandat. L’examen du bilan de sa politique notamment dans son Sud natal (à travers les rencontres fraternelles) laissent présager un fin de parcours.
Certes la constitution organise la gestion de la succession du pouvoir au sommet de l’Etat mais une telle réalité ne tient qu’en cas de vacance à la fonction présidentielle.
Le président Paul Biya a bien conscience qu’un jour, il devra passer la main. En effet, pour lui, « le dauphinat relève d’une époque qui est de l’ordre de la monarchie ou de l’oligarchie », ce que le Cameroun n’est pas. Par conséquent, préparer une personne à la fonction présidentielle serait faire offense à la maturité du peuple camerounais qui devra faire son choix le moment venu.
Au terme de son mandat en 2025, Paul Biya devrait remettre son mandat en jeu comme président de la République mais certainement pas comme candidat bien qu’il soit toujours maître du jeu. Tout compte fait, le RDPC devra présenter son candidat à l’élection présidentielle. Il bénéficie, à cet effet, du privilège du maillage territorial lié à sa position d’ancien parti unique et des alliances stratégiques qu’il a toujours su négocier. Bien que la concurrence politique soit de mise dans un système multipartisan, le choix du RDPC devrait se porter sur le premier ministre au regard des enjeux stratégiques et politiques à la tête de l’Etat.
1- Les enseignements de l’histoire politique du Cameroun.
L’accession du Cameroun à la souveraineté internationale (du moins la partie francophone) le 1er janvier 1960 marque une étape décisive dans son évolution politique. De l’ARCAM à l’ALCAM qui consacre la marche vers l’indépendance, le pouvoir institutionnel se joue dans les bras du premier ministre. Aînsi c’est à André-Marie Mbida, premier Premier Ministre du Cameroun que reviendra d’assurer la marche vers l’indépendance ( au-delà des luttes partisanes et même violentes de ce processus). De manière naturelle et à la suite de l’éviction d’André-Marie Mbida, Ahmadou Ahidjo qui devient Premier ministre en sera dès le 05 mai 1960 le premier président de la République du Cameroun.
Dans la partie anglophone du Cameroun, la fonction de Premier ministre va naturellement conduire à assumer les fonctions républicaines. Ainsi John Ngu Foncha, premier ministre du Cameroun occidental au moment du référendum d’autodétermination qui deviendra naturellement Premier ministre de l’Etat fédéré du Cameroun occidental et de plus vice-président de la République fédérale du Cameroun.
Les tribulations institutionnelles de la République fédérale à la République unie du Cameroun vont entraîner la suppression du poste de premier ministre à sa réinscription constitutionnelle en 1975. Paul Biya va hériter du poste et en 1979, le premier ministre est constitutionnellement successeur du président de la République. Juste retour des choses pour le dire. Et par les effets de la vacance à la fonction présidentielle, par suite de la démission du président Ahmadou Ahidjo, Paul Biya devient le deuxième président du Cameroun le 06 novembre 1982.
D’André-Marie Mbida à Paul Biya en passant par Ahmadou Ahidjo, le premier ministre est droite ligne au moment de régler la question de la succession et de la transmission du pouvoir. De Emmanuel Mbela Lifafe Endeley à John Ngu Foncha, dans le Cameroun britannique, c’est la fonction de Premier ministre qui consacre la primauté dans l’exercice du pouvoir d’Etat.
2- la réalité institutionnelle du premier ministre.
Le poste et la fonction de premier ministre au moment où se jouent les mutations au sommet de l’Etat permettent de saisir les enjeux du jeu politique dans la transmission du pouvoir.
L’armature institutionnelle du Cameroun ne permet pas de lire avec exactitude les pouvoirs du Premier ministre. Certes, le premier ministre peut recevoir délégation de pouvoir et de signature de la part du président de la République. Mais c’est plus dans un rôle de prestige protocolaire que le premier ministre est visible (inauguration d’édifices ou d’ouvrages d’art, manifestations culturelles et missions de représentations). La constitution du 18 janvier 1996 en fait le chef d’un gouvernement responsable devant le parlement. Tout au plus le premier ministre propose les membres du gouvernement au président de la République qui lui détermine la politique de la Nation. Le premier ministre est donc responsable d’un programme politique qui n’est pas le sien.
Déjà sous la République fédérale de 1961 à 1972, le Cameroun disposait de deux premiers qui assumaient/assuraient les fonctions politico-administratives suprêmes des États fédérés. Le référendum de 1972 qui crée la République République unie du Cameroun n’en détermine pas les responsabilités ce d’autant plus qu’il fait sa réapparition seulement en juin 1975 et c’est la loi No 79/02 juin 1979 qui en fait le successeur constitutionnel du président de la République en cas de vacance à la tête de l’Etat. L’on est fondé à croire qu’ayant accédé à la magistrature suprême par la voie de la primature, Ahmadou Ahidjo en fait la voie royale pour le sommet surtout que le pays se trouve dans un système de parti unique à l’époque.
Le premier ministre est donc un haut commis de l’Etat qui est détaché des fonctions les plus intenses et mis en réserve de la République pour attendre à travers un suivi méticuleux du détenteur de la fonction suprême de faire un passage de témoin.
Depuis 1975 et la modification constitutionnelle de 1979 qui en fait le successeur du président de la République, la fonction de Premier ministre connaît une relative stabilité. Ce qui aboutit naturellement à l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya. La crise de succession sur la primauté entre le parti et l’Etat qui trouve son apogée dans les tentatives de coup d’Etat du 22 août 1983 et celui plus sanglant du 06 avril 1984 aboutit à la suppression du poste de premier ministre. De plus, le 24 mars 1985, l’UNC devient à Bamenda, le RDPC, consacrant définitivement la mutation au sommet de l’Etat.
Le poste de premier ministre va ressusciter en 1991 avec le retour au multipartisme. L’équilibre et les enjeux du système politique avaient déjà fait basculer les positionnements de pouvoir pour les anglophones à la tête du parlement. Et c’est donc naturellement que le poste de premier ministre sera assuré par Sadou Hayatou, ressortissant du grand Nord.
En 1992, et certainement que la candidature et le score de Ni John Fru à l’élection présidentielle du 11 octobre est passé par là, Paul Biya va opérer un mouvement qui stabilise depuis lors ce poste au profit d’un anglophone, conscient certainement des mutations socio-politiques du Cameroun pour porter un anglophone à la tête de l’Etat.
3- Et si c’était Chief Dr Dion Ngute?
La réalité politique du Cameroun depuis le retour au multipartisme dans les 1990 voudrait l’accession à la magistrature suprême soit soumise au suffrage universel direct et secret et à une pluralité de candidatures. La vérité politique des urnes a toujours consacré Paul Biya comme vainqueur de l’élection présidentielle. Candidat de l’ancien parti unique qui trouve son ancrage dans un système politico-bureaucratique.
Au moment où le RDPC vient d’achever le rétablissement de son sommier politique et le renouvellement (avec fortes violences) de ses organes, les regards se tournent vers le congrès de ce parti pour scruter le devenir de la République. En effet, l’article 2 des statutsm du RDPC stipule que « le président du parti est le candidat du parti à l’élection présidentielle ».
Pour faire face à la concurrence politique, le RDPC doit donc remettre son appareil politique entre les mains de l’homme qui, naturellement, assume les fonctions d’attente politique à savoir le premier ministre.
Dans son discours radiotélévisé de 2019 annonçant la convocation du Grand Dialogue National, le Président Paul Biya faisait remarquer qu’il a depuis plusieurs années toujours choisi son premier ministre parmi les ressortissants de la partie anglophone du Cameroun. Dans un Cameroun qui a mal à son unité le choix d’un anglophone à la tête de l’Etat serait un gage de cohésion nationale.
Un tel regard et un telle stabilité politique permette de voir que l’actuel premier ministre est dans les starting-blocks pour assurer la transition au sommet de l’Etat par le biais du suffrage universel. En effet, dès sa prise de fonction et chacune de ses sorties, Chief Dr Dion Ngute donne l’image d’une personne bénéficiant d’un fort capital de sympathie. Le Grand Dialogue National qu’il a conduit avec maestria aura permis de voir un individu qui ne joue pas avec les symboles de la République. Sa position de chef traditionnel l’amène à avoir un langage franc avec ses compatriotes d’expression anglaise donc il est originaire.
Le bilinguisme de Chief Dr Dion Ngute dans une expression sans accent permet de créer une marque de confiance. En effet, il a souvent été fait reproche au président Paul Biya de ne s’exprimer qu’en français. Au surplus et Comme Paul Biya, Chief Dr Dion Ngute fait preuve d’un tempérament non clivant qui prend sa source dans sa noblesse de la pure tradition africaine.
Les images et les commentaires ne laissent apparaître un personnage gai et jovial mais taciturne et attaché à la maîtrise des dossiers de la République. Chief Dr Dion Ngute ne semble pas colérique et vindicatif, attitude qui serait dangereuse pour diriger un pays aussi complexe comme le Cameroun.
Dans un Cameroun en pleine mutation et où la fonction de Premier ministre offre un ascenseur privilégié vers la magistrature suprême, Chief Dr Dion Ngute doit donc braver le suffrage d’abord celui de la présidence du RDPC et par la suite celui universel de tous les camerounais. Des choses qui ne sont pas impossibles et interdites mais pour lesquelles son prédécesseur à la fonction présidentielle détient encore les clés.
Le 06 novembre 2018, qui a inauguré le nouveau mandat présidentiel, est ainsi appelé à faire l’histoire du Cameroun dans ce « septennat qui sera le plus décisif de notre histoire politique » selon les mots de Paul Biya lui-même premier ministre et successeur constitutionnel du président Ahidjo à la tête de l’Etat, un certain 06 novembre 1982.
Regard Sur l’Afrique Par Alphonse Bernard Amougou Mbarga
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