Plongée dans une première journée de discussions chaotiques, ces discussions ont débuté ce samedi 5 septembre, un peu après 10h, heure locale. Elles se tiennent à Bamako et dans les capitales régionales du pays, après le coup d’État militaire du 18 août dernier, et rassemblent l’ensemble des « forces vives du pays » : partis politiques, société civile et groupes armés signataires de l’accord de paix. Tous doivent poser les jalons de cette transition, sous la direction des militaires au pouvoir depuis plus de deux semaines.
Une rangée de bérets occupe les premiers rangs. Dans la vaste salle plénière du Centre international des conférences de Bamako, sur les rives du fleuve Niger, les militaires sont au centre de l’attention. Autour d’eux, toute la capitale se presse ce samedi matin. Les notables en habits de bazin et calot assorti, les chercheurs en chapeau, les Touaregs ensevelis sous leurs turbans, et, tête nue, les jeunes militants du Mouvement du 5-juin (M5-RFP), qui a fait vaciller pendant des semaines la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta avant qu’un groupe d’officiers ne lui donne le coup de grâce, le 18 août, en le forçant à démissionner.
Le colonel Malick Diaw, numéro 2 du Conseil national du salut du peuple (CNSP), le nom officiel de la junte, ouvre les débats : «Notre agenda est clair et précis. Il s’agit de contribuer à la reconstruction de notre pays, martèle le militaire de sa voix lourde. Cela passe par des réformes audacieuses, profondes. […] Le temps presse : il faut aller vite, mais sûrement.» Le CNSP lance en grande pompe une consultation nationale, présentée comme une «garantie du processus démocratique». Les travaux ont débuté ce matin, à Bamako comme dans les régions, et s’achèveront dans une semaine par l’établissement d’une «feuille de route», une «architecture» et une «charte» de la transition. L’objectif affiché de la journée de samedi est d’en valider les «termes de référence».
Poing brandi
Mais à l’écoute polie succèdent très vite les premiers cris jaillis de l’amphithéâtre. La répartition des groupes de travail – en cinq salles – ne convient pas à tout le monde. Les listes des partis, groupes et associations invités à participer sont contestées. Les plus bruyants sont sans surprise les membres du M5-RFP, qui descendent dans les travées en brandissant le poing. Les hommes en bérets, désormais debout, peinent à contenir les plus agités. Au micro, le modérateur s’étrangle, passe du français au bambara. Les anciens hésitent entre sourire amusé et atterrement.
«Les militaires doivent faire attention, et ne pas privilégier les groupes qui se sont empressés de leur faire allégeance», marmonne un homme politique agacé. «Ils veulent récupérer notre lutte et notre pouvoir, dit un associatif, membre du M5-RFP. Leur méthode de travail n’est pas la bonne.» Serein, le conseiller juridique de la junte, le professeur Youssouf Coulibaly, improvise pour calmer la tempête: «Ceux qui n’ont pas été cités dans les listes peuvent aller librement dans les groupes de travail de leur choix», répète-t-il lentement au micro.
Coéquipiers
Bousculade dans les couloirs du palais blanc. Dans la salle numéro 3, sous le hall principal, on rajoute des rangées de chaises en urgence. Le jeune colonel Aliou Bagayoko, membre du CNSP, aimerait inaugurer un débat apaisé. «Asseyez-vous !» supplie-t-il, comme un professeur face à une classe turbulente. «On a perdu trop de temps, on ne va pas créer des polémiques ici», rappelle-t-il aux participants. Avant de frapper sur la table, exaspéré par un ancien député lancé dans une logorrhée de protestations. «C’est exactement pour ça, pour ce qui est en train de se passer, que nous sommes dans cette situation-là au Mali», coupe le colonel. Sortie sous un tonnerre d’applaudissements.
Le vieil élu le rattrape dans le couloir. L’officier fait signe à ses subordonnés de s’éloigner. Les deux hommes qui, trois minutes plus tôt, se défiaient comme deux footballeurs, retenus physiquement par leurs coéquipiers, se serrent maintenant chaleureusement la main. «Les Maliens finissent toujours par se mettre d’accord», rit l’ex-parlementaire en laissant filer le militaire en treillis.
Droit de contrôle
Une heure plus tard, retour dans la salle 3. L’ambiance est désormais celle d’une assemblée générale universitaire. Le M5-RFP, qui a noyauté toutes les réunions du jour, vient de faire élire l’un des siens, le docteur Mahamadou Konaté, comme président du groupe de travail, au terme d’un laborieux vote à main levée. Les candidats présentés par le groupe d’experts choisi par la junte ont été écartés. Au fond de la salle, les jeunes militants crient de joie comme s’ils avaient marqué un but. Persuadés que le rôle qu’ils ont joué dans le renversement d’«IBK» leur donne un droit de contrôle sur la transition.
Dehors, la pluie a cessé, repeignant la ville en ocre. Les portraits du chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, ont été accrochés par des jeunes venus de la ville-garnison de Kati sur les barrières du Centre de conférences. Un embouteillage s’est formé sur le boulevard Abdelaziz-Bouteflika. Un conducteur de moto qui zigzague entre les flaques philosophe : «A Bamako, la circulation, c’est simple : tout le monde fonce dans le tas puis on se débrouille pour se démêler. Et ça marche.» Espérons que la même méthode s’applique à la consultation sur la transition.
RSA / liberation Par Célian Macé, Envoyé spécial à Bamako
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