
En deux ans, les relations n’ont jamais été aussi tendues entre Le Caire et Khartoum. Le ballet diplomatique actuel dans les capitales de la région est l’illustration d’une crise qui s’étend dans la corne d’Afrique impliquant d’autres pays cherchant à élargir leur influence en mer Rouge.
Le Caire et Khartoum s’accusent mutuellement d’atteinte à la sécurité et des axes se forment alors qu’une lutte silencieuse mais visible s’engage.
Le Soudan a fermé, la semaine dernière, sa frontière avec l’Erythrée et a annoncé l’état d’urgence dans deux de ses Etats de l’est et déployés des milliers de soldats dans cette zone. Khartoum accuse l’Erythrée, appuyée par l’Egypte, de vouloir intervenir sur son territoir et même de vouloir renverser le président Omar el-Béchir.
La crise s’installe et l’Egypte comme le Soudan cherchent activement à consolider leurs relations avec des alliés dans la corne de l’Afrique, comme ailleurs. La visite d’Issayas Afewerki, mardi dernier, au Caire s’inscrit dans ce climat de tension. Le président érythréen s’était rendu aux Emirats arabes unis seulement quelques jours auparavant. Les deux présidents ont souligné la profondeur de leurs relations « stratégiques ». Le Caire a également reçu le chef de la diplomatie tanzanienne et le président tanzanien lui-même est attendu pour bientôt.
De son côté, Khartoum, a depéché la semaine dernière le chef de son armée en Ethiopie. Au coeur des discussions, la coordination militaire. Sujet récemment évoqué par les soudanais avec le Qatar et la Turquie durant une réunion militaire tripartite. Des sources officielles dévoilent que le Soudan se dirige bel et bien vers un accord de défense commun avec Ankara. Et l’Egypte se sent menacée par l’arrivée turque en mer Rouge.
Un allié régional de substitution ? En crise diplomatique ouverte avec Le Caire, les autorités de Khartoum lorgnent moins vers le nord où se trouve le grand voisin, l’Egypte d’Abdel Fattah Al Sissi. Le Soudanais Omar El Bechir regarde plus vers le Sud, chez le grand rival, l’Ethiopie, à la recherche de nouveaux liens diplomatiques. Opération d’intimidation de l’Egypte pour la pousser à revenir ?
Omar El Béchir n’a pas eu à chercher loin. Après une crise diplomatique avec l’Egypte, le président soudanais a trouvé le réconfort chez le grand rival : l’Ethiopie. En bisbilles avec son grand voisin du nord, Khartoum veut intensifier ses relations avec Addis-Abeba.
Ce dimanche, Workeneh Gebeyehu, le chef de la diplomatie éthiopienne est arrivé à Khartoum pour une visite à son homologue soudanais, Ibrahim Ghandour. Même si l’entretien entre les deux ministres des Affaires étrangères a pu porter sur une stratégie antiterroriste dans la région, elle a pu aussi avoir des implications sur des intérêts mutuels entre Addis-Abeba et Khartoum.
Pour le contexte, Khartoum et Le Caire ont frôlé la rupture diplomatique après le rappel de l’ambassadeur soudanais dans la capitale égyptienne en protestations d’ingérences du Caire dans les affaires intérieures en recevant sur son sol, des rebelles soudanais. Khartoum répondait aussi à ce qu’elle a qualifié de « décision irresponsable » de la part de l’Egypte qui a remis en doute la partialité de la médiation soudanaise dans le partage du Nil dans la foulée de la construction controversée par l’Ethiopie du Barrage de la Renaissance.
L’Egypte qui appelle à une médiation de la Banque Mondiale, jugée plus impartiale, a sans doute porté un coup au Soudan pour avoir cédé pour une période de 99 ans à la Turquie, l’île de Suakin, sur les bords de la Mer rouge. Ce bail turc provisoire avalisé lors de la dernière tournée africaine de Reccep Tayyip Erdogan cacherait en fait une « guerre » diplomatique par alliés interposés entre la Turquie qui soutient le Soudan et les Emirats Arabes Unis, grand protecteur de l’Egypte.
Loin du conflit entre grandes puissances régionales, le rapprochement avec Khartoum est aussi bénéfique pour Addis-Abeba. L’Ethiopie, presque constamment en guerre avec l’Erythrée, devrait saisir l’occasion pour tenter de l’isoler dans la région et damer le pion à l’Egypte sur la question du Barrage. C’est justement au milieu de rapports conflictuels de voisinage qu’Omar El Béchir espère tirer son épingle du jeu.
Outre des alliés internationaux comme la Turquie ou les Etats-Unis -qui ont restauré leur aide-, Khartoum se cherche des alliés dans la région. Sous prétexte d’une attaque égyptienne imminente, quelques heures avant l’atterrissage de l’avion du chef de la diplomatie éthiopienne, le Soudan avait positionné ses troupes à Kassala, à sa frontière avec l’Erythrée avec laquelle l’Ethiopie est techniquement en guerre. Sans doute pour faire plaisir au nouvel allié.
La semaine dernière le Soudan a fermé sa frontière avec l’Érythrée et a déclaré l’état d’urgence dans deux de ses provinces à l’Est tout en déployant des milliers de militaires dans la région. Khartoum accuse l’Érythrée, appuyée par l’Égypte, de vouloir intervenir sur son territoire et même de vouloir renverser le président Omar el-Béchir. Derrière cette accusation se cachent deux points de tensions.
Tout d’abord, la création d’un barrage éthiopien sur le Nil puis le rapprochement du Soudan avec la Turquie qui s’est vue confier la gestion d’une île dans la mer Rouge pour 99 ans. Elle y implantera une base militaire ce qui vient contrebalancer l’influence de l’Égypte sur ses voisins directs.
Ce barrage est en train d’être achevé par l’Éthiopie sur le Nil et inquiète au plus haut point l’Égypte. Le Caire craint, en effet, que ce barrage dont l’usine hydroélectrique générera plus de 6 400 mégawatts réduise sa part des eaux du Nil. L‘Éthiopie quant à elle, justifie le projet en expliquant qu’il est nécessaire à son développement économique, soulignant le fait que la grande majorité de ses 95 millions d’habitants manquent d‘électricité.
L’Égypte accuse le Soudan, au préalable médiateur, de prendre fait et cause pour l’Éthiopie qui lui fournit 100 MW par an, ce qui correspond à près de 15% de la production d’électricité soudanaise. De fait, le Caire s’est rapprochée de l’Érythrée, frère ennemi de l’Éthiopie. Le gouvernement éthiopien a accusé le gouvernement érythréen d’entraîner des rebelles en vue de mener des attaques de sabotage contre le barrage.
L’Égypte cherche donc à exclure les Soudanais des discussions sur les eaux du Nil. Le Caire vient, en effet, de soumettre à l’Éthiopie une proposition relative à la sortie du Soudan des discussions sur la construction du barrage. A la place, ils proposent l’introduction de la Banque mondiale en tant que médiateur. Ce qui a du mal à passer du côté du dictateur soudanais puisqu’avec la construction du barrage, il aurait pu importer davantage d’électricité de son allié éthiopien.
Le porte-parole de la présidence égyptienne, Bassam Radi, a expliqué que l’Égypte et l’Érythrée « ont convenu de poursuivre une coopération intensive sur toutes les questions liées à la situation actuelle pour soutenir la sécurité et la stabilité dans la région ».
Le dictateur al-Sissi a reçu en ce début du mois de janvier, son homologue érythréen, Issayas Afewerki qui s’était déjà rendu aux Émirats Arabes Unis. Les deux dictateurs ont souligné la profondeur de leurs relations « stratégiques ». Le Caire a également reçu le chef de la diplomatie tanzanienne et le président tanzanien lui-même est attendu pour bientôt. L’Égypte encouragerait une mobilisation militaire en Érythrée à la frontière du Soudan. Frontière où des rebelles Darfouri ont été également remarqués, rebelles soutenus par le Soudan du Sud dont la création a été soutenue par les USA et l’Égypte pour contrer, entres autres, l’influence chinoise au Soudan.
Le dictateur soudanais, Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 28 ans et qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour des accusations de génocide dans la région du Darfour, a envoyé son chef de l’armée en Éthiopie pour développer leur coopération militaire. C’est un sujet qui avait été abordé lors d’une réunion militaire entre le Soudan, la Turquie et le Qatar. Des sources officielles ont dévoilé que le Soudan est sur le point de passer un accord de défense commun avec Ankara. A cela vient s’ajouter le voyage d’el-Béchir à Moscou en novembre dernier, où il aurait expressément proposé aux autorités russes d’installer une base militaire dans son pays. Dans la foulée de son voyage en Russie, il a rendu visite à son vieux rival tchadien, le dictateur Idriss Déby, proche des chancelleries occidentales.
Le Soudan a perdu plus de la moitié de ses revenus pétroliers avec l’indépendance du Soudan du sud et cherche des investisseurs. De fait, Erdogan et el-Béchir ont effectué un net rapprochement dernièrement pour pallier ce besoin d’investisseurs, ce qui permettra à la Turquie de s’implanter durablement dans la région. Ainsi, le dictateur soudanais a concédé, pour 99 ans, la gestion de l’île de Suakin à la Turquie contre des promesses d’investissements, de reconstruction et de coopération militaire.
La Turquie installera une base militaire dans cette île qui se situe au nord-est du pays. Elle ne fait que 70 km² mais son port est l’un des plus anciens d’Afrique. Sa position en mer Rouge est stratégique car cette voie maritime est la deuxième la plus importante au monde. La Turquie et le Soudan entretiennent déjà de fortes relations économiques puisque Ankara a acheté toute la production de coton du Soudan en 2016 et 2017 et elle a l’intention d’augmenter les échanges commerciaux bilatéraux. Un comité exécutif a été récemment formé pour l’application de nombreux accords dans le domaine agricole et militaire.
La Turquie ne cache plus son intérêt stratégique pour la région de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique et continue à s’y implanter militairement afin d’accroître parallèlement à sa présence économique, son influence. En septembre dernier et après deux ans de travaux, la Turquie avait inauguré en Somalie sa base la plus grande hors du pays. Une énième base militaire turque dans la région puisqu’elle possède également une grande base militaire au Qatar. Le Caire ne voie pas d’un bon œil le rapprochement entre la Turquie et le Soudan et cette implantation militaire turque.
L’Égypte se sent menacée par l’arrivée turque en mer Rouge. Pour rappel, Erdogan avait soutenu largement les frères musulmans en Égypte, qui se sont vus chassés du pouvoir par le putsch du général al-Sissi. Depuis, l’autocrate turc n’a de cesse de critiquer ouvertement la politique de son homologue égyptien.
La cession de l’île de Suakin relance les tensions autour du triangle frontalier de Halayeb, objet de litige, depuis de longues années entre l’Égypte et le Soudan. Cette zone est gérée administrativement par l’Égypte et ses habitants votent lors des élections en Égypte. Bordé par la Mer Rouge, il était contrôlé conjointement par le Soudan et l’Égypte jusqu’en 1992, année où Khartoum a accordé des droits à une compagnie pétrolière étrangère. L’armée égyptienne a alors envahi le territoire, forçant les Soudanais à partir, et gère depuis administrativement ce territoire.
Depuis le Soudan saisit régulièrement l’ONU pour réclamer son autorité sur ce triangle. Aujourd’hui c’est le Caire qui menace d’aller devant le Conseil de sécurité.
Une poudrière refait surface dans la corne de l’Afrique impliquant d’autres pays cherchant à élargir leur influence en mer Rouge, l’Égypte soutenue par les Etats-Unis et la Turquie soutenue, sur ce dossier en tout cas, par la Chine et la Russie. La nouvelle présence turque en mer Rouge agace également le royaume saoudien puisque Suakin est à la frontière ouest de l’Arabie. Tout cela accentue les tensions entre les pays de la corne de l’Afrique mais également dans la péninsule arabique. En effet on constate qu’une partie de la coalition anti-Qatar composée de l’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, du Bahreïn, du Yémen et de l’Egypte s’affronte à nouveau au Qatar et à la Turquie, cette fois de l’autre côté de la mer Rouge. Pour le plus grand malheur des peuples de la région qui subiront les foudres des ambitions des grandes puissances et de leurs relais régionaux.
Moyen de pression sur l’Egypte ou réelle volonté de multiplier ses relations dans la région ? En tout cas, la stratégie soudanaise semble avoir porté ses fruits. Abdel Fattah Al Sissi a fait ce lundi 15 janvier, une sortie médiatique très remarquée, interdisant aux médias publics égyptiens de lancer des attaques en direction des voisins.
« L’Egypte ne conspire ni ne s’immisce dans les affaires intérieures de quiconque. Nous sommes déterminés à avoir de bonnes relations [avec le Soudan et l’Ethiopie, NDLR]. Notre région en a assez vu ces dernières années », a déclaré le président égyptien.
« Nous ne sommes pas prêts à faire la guerre à nos frères ou à quiconque d’autre. Je dis cela comme un message clair à nos frères au Soudan et en Ethiopie ». La carte de l’apaisement ou bien le signe que le message de Khartoum a été bien entendu.
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