Interpellé sur la répétition des coups d’État en Afrique de l’Ouest, Denis Sassou-Nguesso exprime avec prudence sa surprise. « On observe un recul et il peut y avoir des dysfonctionnements dans tel ou tel pays, mais ces dysfonctionnements ne justifient pas toujours le fait qu’il faille recourir au coup d’État pour résoudre les problèmes. »
En marge du Sommet Union européenne-Union africaine, qui s’est déroulé à Bruxelles du 17 au 18 février, le président de la République du Congo, Denis Sassou N’Guesso, a accordé une interview à nos confrères du journal Afrique de TV5 Monde. Il est revenu sur le déroulement du Sommet et a abordé d’autres questions, notamment la situation sécuritaire au Sahel.
Denis Sassou N’Guesso : « L’Union européenne et l’Union africaine se sont accordées sur le fait d’aller vers des objectifs plus concrets »
Pour ce sommet, les Africains visaient 250 milliards d’euros de financement. L’Europe s’engage sur une promesse de 150 milliards d’euros et encore des promesses, n’êtes-vous pas un peu déçu ?
Non. Pas déçu, parce que nous sommes au 6e sommet Union africaine (UA)/Union européenne (UE). Le décor a toujours été planté dans les relations entre l’Europe et l’Afrique : historiques, culturelles et même économiques. On a toujours fait le diagnostic. On l’a refait aussi lors de ce sommet. Mais, cette-fois, on a pensé qu’il fallait aller vers des objectifs concrets. On ne pouvait pas continuer à décrire les mêmes maux, sans aller vers le traitement.
Quel est le traitement ?
C’est aborder les problèmes concrètement. Qu’il s’agisse des problèmes de changement climatique, d’énergie, de santé, d’éducation, d’immigration, etc. Cette-fois, on a pensé qu’il fallait aller vers des objectifs plus concrets. Je crois que l’UE et l’UA se sont accordées sur ce fait. L’UE a annoncé une contribution financière sur sept ans de 150 milliards d’euros, avec des objectifs ciblés et nous sommes d’accord avec ces objectifs.
Votre homologue, le président Macky Sall, président en exercice de l’UA, visait les 250 milliards, le gap est énorme…
Oui. Mais les 250 milliards d’euros pour l’Afrique, ce n’était pas à l’Europe seule de les apporter. L’Afrique a d’autres partenaires dans le monde.
La configuration de ce sommet était encore l’Afrique qui vient avec des demandes et l’Europe qui dispose. Cette configuration n’est-elle pas un peu le fond du problème ?
Non, lorsque nous posons ces problèmes et que l’Europe réagit, elle sait aussi pourquoi elle réagit. L’Europe ne réagit pas parce que l’Afrique tend la main. Elle réagit aussi parce qu’elle sait que le développement de l’Afrique lui profitera. L’Europe ne fait pas de la philanthropie. Elle réagit pour son intérêt aussi.
Dans votre pays se joue l’un des enjeux environnementaux les plus importants du globe : le sauvetage du bassin du Congo. Un fonds a été mis en place, mais le financement s’avère complexe. Est-ce qu’à l’occasion de ce sommet vous avez enregistré des avancées sur le Fonds bleu pour le Bassin du Congo ?
Nous n’avons pas eu de promesses concrètes. Mais, au cours du débat, nous avons parlé du Bassin du Congo, le deuxième poumon vert du monde après l’Amazonie. Et c’est 220 millions d’hectares de forêt. Les peuples qui vivent dans le Bassin du Congo ont droit à un retour parce qu’ils protègent ce bassin, pas seulement pour eux-mêmes mais pour le monde entier.
Vu l’enjeu que vous décrivez, qui est énorme, capital et qui dépasse le cadre du Congo, qu’est-ce qui a bloqué ici à Bruxelles pour que cela ne soit pas une priorité en termes de financement, au niveau des partenaires africains et européens ?
Il fallait certainement faire des choix, mais je ne doute pas que l’Europe retienne cette question comme une question importante.
Un des thèmes qui s’est invité à ce Sommet est l’instabilité au Sahel. La France se retire du Mali, conséquence d’un coup d’Etat. On constate une résurgence des coups d’Etat, notamment en Afrique de l’Ouest. Ce retour des militaires au pouvoir vous surprend-il ?
Un peu, parce que l’Afrique, dans son ensemble, s’est engagée dans un processus de démocratisation de la vie politique, économique et sociale. Et il y avait des avancées. On peut dire que l’on observe un recul.
Comment vous l’expliquez ?
Chaque cas est spécifique. Il peut y avoir des dysfonctionnements dans tel ou tel pays, mais ces dysfonctionnements ne justifient pas toujours le fait qu’il faille recourir au coup d’Etat pour résoudre les problèmes. Mais, dans tous les cas, partout où il y a eu un coup d’Etat, les militaires ont toujours posé le problème du retour à la vie démocratique dans le pays. Dans tous les pays c’est toujours un gouvernement de transition et, au bout, c’est toujours les élections.
La junte malienne demande quand même cinq ans à la Cédéao, qui a été obligée de prendre des sanctions…
Oui, elle demande cinq ans, mais est-ce que ça sera cinq ans ? Je n’en suis pas sûr. Ce que nous pouvons proposer c’est que la junte entre en discussion avec la Cédéao pour trouver un compromis. Ce ne sera certainement pas cinq ans.
Sur le continent, on note une jeunesse africaine qui conteste de plus en plus la présence française, quelle que soit sa forme et cette contestation s’exprime de façon très bruyante. Comment comprenez-vous cette nouvelle génération qui se manifeste parfois avec un discours très radical pour demander le départ de la France ?
Depuis les indépendances en 1960, on a toujours connu, en Afrique, ce mouvement de revendication de la jeunesse africaine qui voulait toujours plus d’indépendance, plus de liberté et plus de dignité. Ce n’est pas un mouvement nouveau.
Elle est un peu plus forte non ?
Je ne sais pas si c’est plus fort, mais on l’évaluera. Mais, ce mouvement là n’est pas nouveau. On devrait en tenir. La jeunesse africaine a toujours voulu l’indépendance véritable de l’Afrique.
Un groupe d’experts de l’ONU a demandé, à deux reprises, la libération de Jean-Marie Mokoko et Okombi Salissa, deux opposants. Le général Mokoko est malade et il a même été évacué pour des soins médicaux à l’étranger. Pourquoi une solution politique n’est pas possible ?
Qui a demandé vous dites ?
Des experts de l’ONU dans leur rapport
Ces demandes ne nous ont pas encore été exprimées. Le rapport est certainement en route, il ne nous est pas parvenu. Il recevra la réponse qui convient.
Mais cela reste quand même à l’issue d’une crise politique
Est-ce que c’est un problème qui concerne les Nations unies ?
Certainement parce que les Nations unies ont été saisies par des organisations de défense des droits de l’homme, par des organisations de défense des prisonniers politiques…
Elles ont saisi les Nations unies, mais les Nations unies ne nous ont pas encore saisi officiellement.
Si vous êtes saisi, est-ce qu’il y a une solution possible ?
Il n’y a pas de problème sans solution. Mais, elle viendra toujours des autorités congolaises compétentes.
Vous, en tant qu’autorité congolaise suprême, est-ce qu’il y a une sortie possible ?
Sans aucun doute, mais ce sont les autorités du pays qui apprécieront. Ce ne sera jamais à cause des pressions qui viennent de l’extérieur.
Une série d’enquêtes de la très réputée ICJ (International Center for Journalists, Ndlr) porte de très graves accusations envers vos proches et vous-même, à travers les Panama Papers et les Pandora Papers. Êtes-vous lié aux sociétés Escom Congo et Ecoplan Finance comme le soutiennent nos confrères ?
C’est de la pure machination et nous sommes habitués à ce genre de provocation et de machination. Je ne connais même pas Ecoplan Finance comme vous le dites. Escom Congo n’existe peut-être même plus. Elle a existé au Congo, mais je crois qu’elle a disparu. L’autre, je ne la connais même pas. Vous voyez la grossièreté de la chose.
Vous contestez tout ce travail d’enquête ?
Il y a plus que ça qui est dit sur le Congo ou la famille présidentielle. Laissons la terre tourner.
L’exercice du pouvoir est un lourd fardeau et vous l’exercez depuis 36 ans, si on cumule. Est-ce que parfois une certaine usure ne vous habite pas ?
Il nous est arrivé d’exercer le pouvoir quelque 12-13 ans, une première fois. Puis, des évènements nationaux en ont décidé autrement. Nous nous sommes retirés des affaires de l’Etat dans les conditions que vous connaissez. D’autres évènements nous ont permis de revenir aux affaires jusqu’aujourd’hui, avec le soutien de notre peuple. Nous continuons à le servir jusqu’au jour où ce peuple décidera le contraire, comme il l’a fait une fois en 1991-1992. Nous nous plierons.
Vous envisagez une sortie ou une retraite ?
C’est Dieu seul qui sait.
Propos recueillis par TV5 Monde
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Qui est Denis Sassou-Nguesso?
Denis Sassou-Nguesso est un militaire et homme d’État congolais né en 1943 à Edou. Président de la République populaire du Congo de 1979 à 1992, il est l’actuel président de la République du Congo depuis 1997, après avoir renversé le président élu Pascal Lissouba dans les premiers mois de la guerre civile du Congo-Brazzaville. Son retour au pouvoir en 1997 est reconnu par la communauté internationale.
Né fin 1943 à Edou, au Congo-Brazzaville, alors colonie française, Denis Sassou-Nguesso fait ses classes en Centrafrique et en Algérie, parachevant sa formation militaire à Saint-Maixent l’Ecole avant de devenir lieutenant parachutiste en 1963, au Congo. Il crée en 1969 le Parti congolais du travail (PCT), actuellement au pouvoir. Il est installé à la tête du pays le 8 février 1979, d’abord en tant que président provisoire puis pleinement élu par le comité central du PCT, il reste jusqu’en 1992. Cette année-là, une nouvelle Constitutation entérinant le multipartisme est adoptée par référendum.
Sassou-Nguesso perd l’élection présidentielle face à Pascal Lissouba et finit par quitter le pays. En 1997, il déclenche une guerre civile après son retour au Congo. Appuyé par l’armée, il renverse le gouvernement en place et reprend la fonction présidentielle qu’il occupe depuis.
Il est le dernier enfant d’une fratrie dont le père est Julien Nguesso et la mère Émilienne Mouebara (morte en 1982). Il est marié à Antoinette Tchibota et père de plusieurs enfants, issus de plusieurs femmes. On dénombre plus de 25 enfants qu’il a obtenus avec plusieurs femmes dans des liaisons hors mariage.
Par Tinno BANG MBANG
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