Le porte-parole du gouvernement du Burkin Faso, Jean-Emmanuel Ouedraogo, a confirmé à l’Associated Press que l’ambassadeur Luc Hallade avait été prié de partir, mais n’a fourni aucun autre détail.
Après une montée de la tension diplomatique tout au long du mois de décembre entre Paris et la junte arrivée au pouvoir le 30 septembre 2022, Ouagadougou a décidé de pousser vers la sortie l’actuel ambassadeur de la France. Un conflit diplomatique qui fait écho à celui que connaît la France avec le Mali, sur fond de violences djihadistes et d’influence grandissante de Moscou dans la région.
Au Burkina Faso, la France est de moins en moins la bienvenue depuis la prise de pouvoir par un putsch du capitaine Ibrahim Traoré, le 30 septembre 2022, le deuxième coup d’État en un an dans le pays. Selon Jeune Afrique, le ministère des affaires étrangères du pays sahélien a demandé au quai d’Orsay « un changement d’interlocuteur », soit le remplacement de l’ambassadeur Luc Hallade, en poste depuis fin 2019.
La teneur de ce courrier transmis en décembre a également été confirmée au Monde par une source gouvernementale burkinabé.
Un premier différent il y a plusieurs semaines
Selon le quotidien, cette requête serait liée à une lettre envoyée par Luc Hallade aux ressortissants français de Koudougou le 12 décembre 2022. Dans ce courrier, l’ambassadeur invitait « avec insistance » les Français expatriés habitant cette ville, située à 100 kilomètres à l’ouest de Ouagadougou, à se « relocaliser » dans la capitale ou à Bobo-Dioulasso, dans le sud-ouest du pays.
Le Burkina Faso est confronté depuis 2015 aux attaques de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique qui se multiplient. Elles ont fait des milliers de morts et au moins deux millions de déplacés. Koudougou, troisième ville la plus peuplée du pays, « est passée en zone rouge [et donc formellement déconseillée aux Français par le Quai d’Orsay] depuis le coup d’État du 30 septembre 2022 », précisait Luc Hallade, avant de souligner que « rester à Koudougou représentait un risque important ».
Une tension diplomatique persistante
Fin juillet déjà, un premier différend avait éclaté entre l’ambassadeur de France et la junte, alors dirigée par le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Auditionné par des représentants du Sénat français sur la crise politico-sécuritaire burkinabé le 5 juillet, Luc Hallade avait également qualifié la violence qui ravage le pays de « conflit endogène » et de « guerre civile ». Une « lecture erronée » selon le gouvernement burkinabé.
Fin décembre, Barbara Manzi, coordonnatrice de l’Onu au Burkina Faso, avait également dû quitter le pays précipitamment. Elle avait été déclarée « persona non grata » et « priée de quitter le pays ». Une expulsion qui était intervenue quelques jours après celle de deux Français qui travaillaient pour une société burkinabé et qui étaient soupçonnés par les autorités d’être des espions.
Le coup d’État, marqueur d’un sentiment anti-français
Le rejet de la politique africaine de la France est particulièrement prégnant dans les rues de Ouagadougou et des autres villes du Burkina Faso. Et l’arrivée du capitaine Traoré au pouvoir n’a pas arrangé les choses. Contrairement à son prédécesseur, Damiba, il a choisi de surfer sur le sentiment anti-français. Son coup d’État avait d’ailleurs donné lieu à des violences contre la présence française : l’ambassade de France avait été caillassée par des partisans du capitaine, certains tentant même de l’incendier. L’Institut français avait, lui, été saccagé.
Pendant le putsch de septembre, Paris avait été publiquement accusée de protéger le lieutenant-colonel Damiba en lui permettant de se réfugier dans sa base de Kamboinsin, en périphérie de Ouagadougou, où stationnent les 300 commandos des forces spéciales de l’opération Sabre. Ce qui avait été fermement démenti par le quai d’Orsay.
Le rôle de Moscou en question
Derrière ce coup d’État, plusieurs observateurs ont vu l’influence de Moscou. Le capitaine Traoré est ouvertement tourné vers la Russie. Lors d’une rencontre, il a d’ailleurs affiché en novembre sa proximité avec l’actuel dirigeant du Mali, le colonel Assimi Goïta, qui a choisi de s’appuyer sur l’armée russe pour la sécurité intérieure, alors que les soldats français de l’opération Barkhane ont définitivement quitté le pays cet été.
Plus récemment, le président ghanéen s’est inquiété lors du sommet États-Unis – Afrique, à Washington, de la présence du groupe paramilitaire Wagner au Burkina Faso. Selon lui, la junte lui aurait même octroyé une mine d’or dans le sud du pays en guise de paiement des services des paramilitaires russes, ce que Ouagadougou a démenti par la suite.
Le Burkina Faso va-t-il suivre le Mali ?
Pourtant, tout avait bien commencé. La nomination d’Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla au poste de Premier ministre avait été vue comme un signe positif envers la France. Cet avocat de formation qui a fait ses études à Nice, avait déclaré sur la télévision burkinabé en octobre : « Il ne faut pas rompre avec la France pour la Russie. Les manifestants qui brandissaient le drapeau russe ne connaissent pas les affaires de l’État. Notre système d’enseignement est basé sur le français. Nous parlons le français. »
Mais depuis, les signes de défiance envers Paris se sont multipliés. Le 3 décembre, les autorités du Burkina Faso ont ordonné « la suspension immédiate » de Radio France Internationale (RFI). Déjà interdite au Mali, la radio publique française est accusée par le pouvoir d’avoir cité le capitaine Traoré se disant visé par une tentative de coup d’État, ce que la junte dément.
Au Burkina aussi, la question de la présence militaire française se pose plus que jamais.
RSA avec Valentin BECHU.
Discussion à propos du post