Depuis l’avènement de la Ve République en 1958, le président est au centre de la vie politique. Son élection au suffrage universel à deux tours est de loin celle où l’abstention est la plus faible et demeure un marqueur essentiel de l’histoire du pays, au point qu’un juriste a pu parler de lui comme d’un « monarque républicain ». La réalité est cependant plus complexe. Quels sont ses pouvoirs et ses responsabilités réelles ? Comment surtout s’équilibrent-ils avec ceux du Parlement et du gouvernement ?
Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs ?
Les démocraties représentatives – où les citoyens délèguent par élection le droit de les représenter pour une période donnée – sont construites sur le principe fondamental de la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. Théorisée durant l’Antiquité par Thucydide, puis par le philosophe anglais John Locke, la séparation des pouvoirs nous est surtout connue par l’interprétation qu’en fait Montesquieu dans L’Esprit des lois en 1748. Il en vante ainsi les mérites : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Si la Ve République respecte ce principe, elle est l’une des rares constitutions à mentionner l’exécutif avant le législatif. Autrement dit, la conduite de la politique nationale et la mise en œuvre des lois passe avant leur rédaction, leur adoption et le contrôle de l’exécutif.
Pourquoi parle-t-on de régime semi-présidentiel ?
Le terme de régime semi-présidentiel, souvent associé à la Ve République, est un concept de Maurice Duverger, spécialiste du droit constitutionnel. Il désigne un régime qui emprunte à la fois des caractéristiques au régime parlementaire et au régime présidentiel. Le premier désigne les régimes où la séparation des pouvoirs est souple, c’est-à-dire basé sur le dialogue constant, notamment entre Gouvernement et Parlement. Dans un régime présidentiel en revanche, cette séparation est stricte : le président n’est pas responsable devant le Parlement et ne peut pas non plus le dissoudre – c’est le régime en vigueur aux États-Unis d’Amérique. La France d’aujourd’hui correspond à cet entre-deux. Le chef de l’État est élu au suffrage universel direct, il a des prérogatives propres, mais le Gouvernement qu’il désigne est responsable devant le Parlement.
Que se passe-t-il quand le président n’est pas soutenu par une majorité à l’Assemblée nationale ?
Avec la révision constitutionnelle d’octobre 2000, le quinquennat remplace le septennat. Cette nouvelle durée est donc identique à celle d’une législature de l’Assemblée nationale. Cette décision est prise dans un contexte bien précis. En 1997 en effet, Jacques Chirac dissout l’Assemblée un an avant son terme, afin de s’assurer une plus large majorité. C’est un mauvais calcul, car la gauche remporte les élections. Le président doit nommer le socialiste Lionel Jospin comme chef du Gouvernement jusqu’à la fin de son mandat, qui se termine lui aussi en 2002. Cette année-là donc, l’élection présidentielle précède de deux mois les élections législatives, un scénario amené à se reproduire tous les cinq ans, tant que les deux mandats, celui du chef de l’État et celui de l’Assemblée, seront menés à leur terme. Dans une telle conjoncture, le président fraîchement élu bénéficie généralement d’un état de grâce, autrement dit il obtient la majorité absolue à l’Assemblée. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Que se passe-t-il quand le président ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale ?
La majorité est dite relative quand le ou les groupes qui la constituent sont inférieurs à la moitié de l’ensemble des députés élus. Cela s’est produit à deux reprises dans l’histoire de la Ve République. En 1988, le socialiste François Mitterrand est réélu. Il dissout l’Assemblée nationale majoritairement de droite, mais n’obtient que 275 députés sur un total de 575. Les 25 députés communistes, les alliés de son premier mandat, refusent de lui apporter leur soutien. Dans un discours demeuré célèbre, François Mitterrand refuse tout alarmisme : « La situation parlementaire est désormais comparable à celles de la plupart des démocraties européennes où le même type de problème se pose. » Pour faire voter leurs lois, les gouvernements socialistes successifs vont devoir trouver des alliances de circonstance sur leur gauche (avec le Parti communiste) ou sur leur droite avec l’Union du centre. Cette politique d’ouverture au centre se concrétise aussi par l’entrée au Gouvernement de personnalités politique de centre-droit ou issues de la société civile. Suite aux élections législatives de 2022, c’est à une situation très semblable que se voit confronté Emmanuel Macron, devant le refus à sa droite du groupe LR de se joindre à sa majorité et la cohésion de l’opposition de gauche rassemblée dans la NUPES.
Quels sont les prérogatives du président ?
Le président, nous l’avons vu, peut dissoudre l’Assemblée nationale avant la fin de son mandat. Il nomme le Premier ministre, mais il ne le choisit que s’il dispose d’une majorité à l’assemblée. Il nomme ensuite les ministres sur proposition du chef du Gouvernement. C’est encore à lui qu’il revient de mettre fin à leurs fonctions. Il peut soumettre un projet de loi à un référendum et annoncer ou non qu’il démissionnera si le résultat du référendum est contraire à ses attentes. Il peut, en cas de crise grave, obtenir les pleins pouvoirs selon l’article 16 de la Constitution – dans les faits, ce dispositif n’a été activé qu’une seule fois, en 1961, pour une période de 5 mois. Il nomme trois des membres du Conseil constitutionnel ainsi que son président. Quand il dispose d’une majorité relative et mieux encore absolue et donc d’un gouvernement conforme à son programme, il initie les réformes qui seront décidées par le gouvernement et votées par le Parlement. En période de cohabitation, ses pouvoirs sont diminués. Il demeure « chef des armées », mais ses prérogatives en matière de défense, de justice et de diplomatie sont partagées avec le chef du Gouvernement et les ministres en charge de ces dossiers. Il conserve le droit de promulguer les lois, de signer les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres.
Quels sont les pouvoirs du Gouvernement et de l’Assemblée nationale ?
Le chef du Gouvernement est nommé par le président de la république, il est responsable devant l’Assemblée nationale. Ainsi, dans une période de cohabitation, la Constitution, qui fait d’ordinaire la part belle au président, donne lieu à une lecture plus favorable au Premier ministre. En effet, le texte stipule que c’est le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation ». Toutes les lois, sauf celles votées par référendum, doivent normalement être adoptées par le Parlement, qu’elles soient de son initiative ou de celle du Gouvernement. Le Parlement peut néanmoins, par une loi d’habilitation, permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance pour l’exécution de son programme. Le Gouvernement peut aussi engager sa confiance pour promulguer une loi sans qu’elle soit votée par le Parlement. L’Assemblée dispose dès lors de 24 heures pour déposer une motion de censure. Il est d’usage enfin que le Gouvernement pose la question de confiance à l’Assemblée nationale, par une déclaration de politique générale, dans la période suivant sa nomination.
Si cette procédure est systématique en cas de cohabitation – elle prend alors les allures d’une investiture –, elle peut être évitée quand la majorité est fragile. Il est dès lors moins risqué de laisser au Parlement l’initiative d’une motion de censure si ce dernier souhaite renverser le Gouvernement plutôt que d’aller au-devant du danger. Avant d’être votée, une motion de censure doit être déposée par au moins un dixième des députés. Elle doit être ensuite adoptée par la majorité de l’Assemblée nationale.
Sur les 58 motions de censure discutées depuis 1958, une seule a été adoptée. C’était en 1962 en opposition à l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Le général de Gaulle y répondit alors par la dissolution de l’Assemblée. Après les élections, fort d’une majorité renforcée, il rappela son Premier ministre Georges Pompidou.
Regard Sur l’Afrique avec RFI par Olivier Favier
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