Le ciel s’assombrit pour Emmanuel Macron. En pleine crise historique, le président français est confronté à l’impossibilité de se représenter en 2027 et aux postulants à sa succession. Depuis son élection en 2017, l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron est source de débats.
Une ruse de l’inconscient d’un président somnambule. Il s’agite avec les yeux ouverts, mais il ne voit pas. Il écoute, mais il n’entend pas. Autour de lui, on ne comprend pas où il va. Il n’entraîne pas. Ses élus, y compris certains des plus proches, sont désemparés. Les militants tournent comme des soldats perdus. Grognards dévitalisés. Les marcheurs du premier jour se souviennent avec nostalgie du Macron des débuts. Le jeune. L’iconoclaste. L’enthousiaste. L’optimiste. Celui qui parlait de Révolution, le titre de son livre publié en 2016. Il l’incarnait. Et eux, ils y croyaient. Avec ferveur. C’était le temps de la conquête. De l’offensive. L’avenir leur appartenait.
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« En somme, l’alternative, c’est le miracle ou la faillite » : ainsi le général de Gaulle résume-t-il, dans ses Mémoires, le dilemme de la France en 1958. En plus d’être enlisée dans la guerre d’Algérie – que la IVe République était trop faible pour gagner comme pour arrêter, en négociant la paix –, elle conjuguait en effet de multiples rigidités freinant l’activité, une forte inflation, des déficits publics, un surendettement et une crise endémique des comptes extérieurs.
En moins de trois ans, grâce au plan Pinay-Rueff, annoncé le 28 décembre 1958, furent posés les fondements de la plus belle décennie de croissance de l’histoire économique de notre pays : puissant effort d’investissement, libéralisation adossée à l’ouverture du marché commun, plein-emploi, dévaluation et création du nouveau franc, redressement des finances publiques et remboursement de la dette extérieure.
En 2024, la France est redevenue l’homme malade de l’Europe. Par son arrogance et son irresponsabilité, Emmanuel Macron a fait exploser le modèle de la décroissance à crédit et les institutions de la Ve République. Avant lui, la France prenait l’eau. Avec lui, elle coule à pic.
26e rang pour la richesse par habitant
Naufrage économique
L’économie française est désormais reléguée au 7e rang mondial. La croissance potentielle est nulle du fait de la stagnation de la démographie (taux de fécondité réduit à 1,68 enfant par femme) et de la chute de la productivité de 8,5 % depuis 2019. Les faillites d’entreprises s’envolent et la désindustrialisation se poursuit. Le déficit commercial, juge de paix de la compétitivité, atteint 100 milliards d’euros et les parts de marché se réduisent comme peau de chagrin, à 2,2 % dans le monde et à 12 % dans la zone euro, notre pays étant ravalé au 7e rang des exportateurs, quand l’Italie est arrivée au 4e.
Naufrage social
La France a régressé au 26e rang pour la richesse par habitant, inférieure de 15 % à celle de l’Allemagne et de 50 % à celle des États-Unis. La paupérisation de la population et du territoire s’emballe. Le chômage de masse touche 7,3 % des actifs, quand les autres grands pays développés connaissent le plein-emploi, et 18 % des salariés sont au smic. La pauvreté touche 9 millions de Français, aggravée par une crise du logement sans précédent depuis les années 1950 et par l’effondrement du système de santé et de l’Éducation nationale. Tout cela avec un État-providence qui mobilise 34 % du PIB et qui entretient les maux sociaux qu’il est censé soigner.
Naufrage financier
Alourdie de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, la dette publique, qui culmine à 112 % du PIB, est sortie de tout contrôle pour devenir insoutenable. Placée sous surveillance par les agences de notation, par les marchés et par nos partenaires européens, la France emprunte à des taux plus élevés que l’Espagne, le Portugal et la Grèce.
Naufrage politique
La Ve République a été corrompue par l’hyperprésidentialisation jusqu’à se trouver paralysée à la suite de la dissolution. Elle a donné naissance à une Assemblée Frankenstein, ingouvernable et polarisée à l’extrême, qui constitue à la fois le produit et le symbole du macronisme.
Naufrage diplomatique
La politique extérieure de la France acquitte au prix fort les errements et les revirements d’Emmanuel Macron comme l’effondrement de la puissance du pays. Elle a perdu toute crédibilité dans le conflit ukrainien, où a été promu l’envoi de troupes au sol, après avoir vainement dialogué pendant des mois avec Vladimir Poutine, comme au Moyen-Orient, où Israël est désormais accusé de barbarie alors qu’était proposée il y a un an la constitution d’une coalition internationale contre le Hamas. Écarté des négociations sur la recherche de la paix lors du G7, le président français n’a pas été invité par Olaf Scholz ni Giorgia Meloni à préparer le dernier sommet européen, et c’est vers l’Allemagne que Keir Starmer s’est tourné pour relancer la coopération militaire entre le Royaume-Uni et l’Union.
Tous les atouts pour se réinventer
Les raisons de cette débâcle ne sont pas à chercher dans la mondialisation, l’Europe, l’Allemagne ou les immigrés, mais dans les erreurs de la France et de ses dirigeants. Ils ont abandonné tout projet collectif pour servir des clientèles et communier dans le malthusianisme. Ils se sont enfermés dans le déni, en refusant de faire la vérité sur la situation du pays et d’engager les changements nécessaires pour s’adapter à la mondialisation, à la montée du péril djihadiste, à la menace des empires autoritaires. Notre pays a ainsi perdu la maîtrise de son destin pour dépendre de la Chine pour la fourniture de ses biens essentiels, des États-Unis pour l’énergie, la technologie, la finance et la sécurité, via la réassurance de l’Europe par l’Otan, et de l’Allemagne pour sa dette. Il menace d’emporter dans sa chute la zone euro et l’Union européenne, au grand dam de nos partenaires.
La France se trouve donc à un tournant et doit choisir entre la modernisation et le déclin. Comme en 1958, la situation est à la fois désespérée et porteuse d’espoir. D’abord parce que la crise financière interdit la poursuite de la fuite en avant dans le surendettement public et privé. Ensuite parce que le miracle est à portée de la main si nous cessons d’idolâtrer tout ce qui nous ruine et de condamner tout ce qui pourrait nous sauver.
La France dispose de tous les atouts pour se réinventer : des talents remarquables, des universités et des écoles de rang mondial, de l’épargne, une énergie décarbonée avec le nucléaire, des infrastructures de qualité, de grands groupes internationalisés et compétitifs, des armées ayant conservé l’expérience du combat, un patrimoine, un mode de vie et une culture avec peu d’équivalents. Si nous cessons de les saper, le relèvement peut être spectaculaire et rapide, comme le montre le redressement des pays scandinaves et des autres pays d’Europe du Sud. Par ailleurs, le cycle de la mondialisation s’est achevé et laisse la place à une nouvelle ère favorable à l’esprit national français, où la géopolitique prime sur l’économie, l’État reprend la main sur les marchés, la souveraineté et l’impératif de la sécurité ont la prééminence sur l’ouverture des frontières.
Seul manque l’essentiel, à savoir la stratégie, la méthode et l’état d’esprit. Mais notre histoire est riche de ces moments de retournement où la lumière surgit de la nuit. La priorité absolue doit aller à remettre la France debout. Le rétablissement de sa puissance conditionne en effet la crédibilité de toute initiative diplomatique en Europe comme dans le monde. Aux antipodes du « en même temps », qui institutionnalise l’absence de cap et l’impuissance, des choix clairs sont à effectuer autour de quelques enjeux clés : le renouveau démographique ; la relance de la production, de l’investissement et de l’innovation ; la modernisation de l’éducation et de la santé ; la réforme et le désendettement de l’État ; la restauration de la sécurité intérieure et extérieure.
Regardons en face la situation
L’heure est plus que jamais au rassemblement et à refaire la nation, éclatée en blocs, en communautés et en clans. Notre chance paradoxale est de ne pas disposer de femme ou d’homme providentiels. Le salut de la France ne peut donc venir que des Français. Or ceux-ci, dans leur immense majorité, ne se résignent ni à leur déclassement ni à celui de leur pays. Ils l’ont montré en refusant de confier le pouvoir à l’extrême droite et en assurant la réussite des Jeux olympiques. Il reste possible de les mobiliser au service de la reconstruction de la France, et non pas seulement d’un événement, d’une circonstance ou d’une émotion collective.
« J’ai plus peur de nos propres erreurs que des plans de nos ennemis », soulignait Périclès, au début de la guerre du Péloponnèse. À raison, puisque Athènes et sa démocratie sont mortes de la démagogie, plus encore que de la désastreuse expédition de Sicile, qui scella la victoire de Sparte. Tirons donc les leçons de nos erreurs. Regardons en face la situation de la France comme celle de l’Europe et du monde du XXIe siècle. Et jouons à fond l’ultime chance de nous redresser par nous-mêmes, en retrouvant la confiance dans nos atouts et nos valeurs, en conjurant tant la mise sous tutelle par l’Union européenne, la BCE et le FMI que la tentation autoritaire.
Par Regard Sur l’Afrique. L’éditorial de Nicolas Baverez
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