Même si les relations entre Paris et Kigali se sont détendues avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, le rôle de la France au Rwanda reste un sujet explosif depuis plus de 25 ans.
Un président français et son cercle proche soutenant « aveuglément » un régime raciste et violent, en dépit de toutes les alertes: la « faillite » de la France et ses « responsabilités accablantes » dans le génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 sont exposés dans un rapport cinglant remis vendredi à Emmanuel Macron.
C’est un rapport de près de 1 200 pages qui a été remis officiellement à Emmanuel Macron ce vendredi 26 mars 2021. Il y a deux ans, le président français avait chargé une quinzaine d’historiens, réunis au sein de cette commission présidée par l’historien Vincent Duclert, d’examiner « les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis », entre 1990 à 1994. L’objectif affiché qui était d’établir le rôle de la France dans le génocide rwandais semble avoir été atteint.
Ce rapport d’historiens, fruit de deux années d’analyse des archives relatives à la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994, dresse un bilan sans concession de l’implication militaire et politique de Paris, tout en écartant la « complicité » de génocide longtemps dénoncée par Kigali.
La France porte des « responsabilités lourdes et accablantes » dans les évènements qui ont abouti au génocide des Tutsis en 1994, selon les conclusions du rapport. Paris s’est en effet massivement impliqué au Rwanda à partir des années 1990, et « aligné » sur le régime hutu du pays.
Le rapport note que « la France s’est longuement investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation du génocide », et « cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du chef de l’État et de la présidence de la République ».
Le rapport souligne notamment la lourde responsabilité de l’Etat-major particulier (EMP) de François Mitterrand, dirigé par le général Christian Quesnot et son adjoint le colonel (devenu général) Jean-Pierre Huchon.
L’ancien président socialiste français François Mitterrand est donc clairement pointé du doigt, comme son cercle proche. D’ailleurs, « un élément surplombe » la relation franco-rwandaise d’avant le génocide, dit le rapport : « la relation forte, personnelle et directe » du président français François Mitterrand et du président rwandais Juvenal Habyarimana.
Selon le rapport, Paris s’est obstiné, en dépit des mises en garde, dans un « lecture ethniciste » de la situation au Rwanda. Le FPR est perçu comme un « agresseur extérieur », systématiquement qualifié de « ougando-tutsi », un « parti de l’étranger » anglophone, quand le gouvernement de Kigali est perçu comme le parti de la majorité hutue, francophone, garante de la légitimité démocratique.
Pour l’Élysée, une responsabilité, mais pas de « complicité »
Le rapport critique les livraisons massives d’armes au régime rwandais. Mais dans les archives, aucun document n’atteste de livraisons d’armes après le début des massacres, selon les chercheurs. Emmanuel Macron a pour sa part salué « une avancée considérable » pour comprendre l’engagement de la France au Rwanda.
Pour l’Élysée, si la France a une responsabilité politique, institutionnelle, intellectuelle, éthique et morale, elle était dans l’incapacité à réellement comprendre ce qui se passait à l’époque.
Le rapport Duclert écarte donc, selon la présidence, la notion de complicité de génocide : « Si l’on entend par [complicité] une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. » L’Élysée affirme aussi que les accusations contre l’opération Turquoise sont également écartées.
Connaissance histoire et reconnaissance politique
Joint par la radio française, RFI, David Servenay, journaliste indépendant, estime que ce rapport constitue une avancée importante qui répond à trois enjeux. « Le premier enjeu, c’est celui de la connaissance historique et là, Vincent Duclert l’a bien souligné, leurs rapports, leurs travaux, balaient totalement la thèse du double génocide. C’est important parce que cela vient un peu clouer le bec à toutes les théories révisionnistes et négationnistes qui circulent depuis vingt-sept ans maintenant, autour de cette affaire.»
Deuxième enjeu, aux yeux de David Servenay, « la reconnaissance politique. Pour le moment, on sait que, à part Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner, aucun responsable politique français n’a voulu vraiment faire face à ses responsabilités, à cet échec de la politique française au Rwanda et il va falloir quand même que les politiques français s’interrogent là-dessus.»
Nouveaux dossiers judiciaires
Troisième enjeu, poursuit le journaliste, « la réalité judiciaire parce que, à travers les archives qui ont été décortiquées, découvertes et exhumées par cette commission, cela va pouvoir peut-être alimenter un certain nombre de dossiers judiciaires.»
Pour David Servenay, « il va falloir que, peut-être, un certain nombre d’anciens responsables de cette politique soient mis en face de leurs responsabilités. Je pense notamment à trois militaires qui sont nommément cités dans le rapport qui sont l’amiral Lanxade, le général Quesnot et le général Huchon qui, tous trois, faisaient partie de la garde rapprochée autour du président de la République François Mitterrand. »
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