L’ancien président nigérian Muhammadu Buhari, décédé à l’âge de 82 ans, était un dirigeant militaire et un démocrate autoproclamé. Il est arrivé au pouvoir à la suite d’une élection présidentielle. Mais il a eu du mal à convaincre les Nigérians qu’il pouvait apporter le changement qu’il leur avait promis.
Muhammadu Buhari était jugé austère mais réputé honnête, ce qui est rare pour un homme politique au Nigeria.
Après trois tentatives infructueuses, il a remporté une victoire historique en 2015, devenant le premier candidat de l’opposition du pays à battre un président en exercice. En 2019, il a été réélu pour un nouveau mandat de quatre ans.
Buhari a toujours été populaire parmi les pauvres du Nord. Pour sa campagne en 2015, il avait l’avantage d’être soutenu par un groupe d’opposition.
Beaucoup de ceux qui l’ont soutenu pensaient que son passé militaire était ce dont le pays avait besoin pour venir à bout de l’insurrection islamiste dans le Nord.
Buhari avait également promis de s’attaquer à la corruption et au népotisme au sein du gouvernement, de créer des opportunités d’emplois pour les jeunes Nigérians.
Mais son mandat a coïncidé avec l’effondrement des prix mondiaux du pétrole et la pire crise économique que le pays ait connue depuis des décennies.
Son administration a également été critiquée pour sa gestion de l’insécurité. Lors de sa campagne en 2015, il avait promis de vaincre le groupe djihadiste Boko Haram. Mais ce dernier reste une menace et l’une de ses factions est désormais affiliée au groupe l’État islamique.
Il y a également eu une recrudescence des affrontements meurtriers entre les agriculteurs et les bergers de l’ethnie Fulani dans le centre du Nigeria.
Muhammadu Buhari, de l’ethnie des Fulani, a été accusé de ne pas être assez ferme envers les éleveurs et de ne pas faire assez pour mettre fin à la crise.
De nombreuses personnes, dont des élèves, ont été enlevées dans le pays, quand il était au pouvoir.
Durant sa présidence, les forces armées ont été accusées de violations des droits de l’homme, notamment d’avoir ouvert le feu sur des manifestants qui s’opposaient au péage de Lekki, à Lagos, en octobre 2020.
Qui était Muhammadu Buhari ?
Muhammadu Buhari est né en décembre 1942 à Daura, dans l’État de Katsina, dans l’extrême nord du Nigeria, près de la frontière avec le Niger. À l’époque, le Nigeria était contrôlé par les Britanniques et il a fallu attendre dix-huit ans avant que le pays n’obtienne son indépendance.
Le père de Buhari, décédé lorsque le fils avait quatre ans, était peul, tandis que sa mère, qui l’a élevé, était kanuri. Dans une interview donnée en 2012, Buhari a déclaré être le 23e enfant de son père et le 13e de sa mère.
Le jeune Buhari a fréquenté une école primaire de Daura, puis l’internat dans la ville de Katsina. Après avoir quitté l’école, il est admis à l’École militaire nigériane et a rejoint l’armée peu après l’indépendance.
Buhari a suivi une formation d’officier au Royaume-Uni en 1962-1963 et a ensuite commencé à gravir les échelons.
Plus tard, il a attribué son penchant pour la discipline au fait qu’il a passé ses années de formation dans un internat, où les châtiments corporels étaient la norme, et dans l’armée. Il a eu la « chance » d’avoir connu cet environnement difficile, qui lui a appris à travailler dur, selon ses propres souvenirs.
En 1966, le Nigeria a connu un coup d’État militaire et un contre-coup d’État, une période de bouleversements pour les officiers de l’armée, mais M. Buhari a toujours soutenu qu’il était trop jeune pour jouer un rôle significatif.
Moins de dix ans plus tard, sous un gouvernement militaire, il est devenu gouverneur militaire du Nord-Est, une région qui comprenait alors six États.
Moins d’un an plus tard, Buhari, alors âgé d’une trentaine d’années, est promu commissaire fédéral au Pétrole et aux Ressources naturelles (en fait ministre du Pétrole) en 1976, sous Olusegun Obasanjo, lors du premier passage de ce militaire à la tête de l’État du Nigeria.
Indiscipline et corruption
En 1978, Buhari, alors colonel, est redevenu commandant militaire. On se souvient encore de sa fermeté en 1983, lorsque des soldats tchadiens ont annexé des îles nigérianes dans le lac Tchad. Il avait bloqué la zone et avaitrepoussé les envahisseurs.
À la fin de l’année 1983, un nouveau coup d’État est perpétré contre le président élu Shehu Shagari, et Buhari, alors major général, devient le chef militaire du pays. Selon ses propres dires, il n’était pas l’un des organisateurs du coup d’État, mais a été installé – puis écarté – par ceux qui détenaient le pouvoir réel et avaient besoin d’une figure de proue.
D’autres témoignages suggèrent qu’il a joué un rôle plus actif dans la destitution de Shagari, sans vouloir l’admettre.
Buhari a dirigé le pays pendant vingt mois, une période marquée par une campagne contre l’indiscipline et la corruption, par des violations des droits de l’homme aussi.
Environ 500 hommes politiques, fonctionnaires et hommes d’affaires ont été emprisonnés dans le cadre d’une campagne contre le gaspillage et la corruption.
Certains y ont vu la répression musclée du régime militaire. D’autres s’en souviennent comme d’une tentative louable de lutter contre la corruption endémique qui freinait le développement du Nigeria.
Buhari a conservé une rare réputation d’honnêteté parmi les hommes politiques nigérians, tant militaires que civils, en grande partie grâce à cette campagne.
Dans le cadre de sa « guerre contre l’indiscipline », il a ordonné aux Nigérians de former des files d’attente bien ordonnées aux arrêts de bus, sous le regard acéré de soldats brandissant des fouets. Les fonctionnaires en retard au travail étaient publiquement humiliés en étant contraints de faire des sauts de grenouille.
Certaines de ses mesures relevaient du zèle, selon ses adversaires. D’autres étaient véritablement répressives, comme un décret visant à restreindre la liberté de la presse, en vertu duquel des journalistes ont été emprisonnés.
Le gouvernement de Buhari a également emprisonné le plus grand musicien du Nigeria, Fela Kuti – une épine dans le pied des dirigeants successifs – sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, concernant des exportations de devises.
Les tentatives menées par Buhari pour rééquilibrer les finances publiques en réduisant les importations ont entraîné de nombreuses pertes d’emplois et la fermeture d’entreprises.
Dans le cadre des mesures de lutte contre la corruption, il a également ordonné le remplacement de la monnaie – la couleur des billets en naira a été changée -, obligeant tous les détenteurs d’anciens billets à les échanger dans les banques dans un délai limité.
Les prix augmentent, le niveau de vie baisse et, en août 1985, Buhari est renversé et emprisonné pendant quarante mois. Le chef de l’armée, le général Ibrahim Babangida, a pris le pouvoir.
Une victoire électorale historique
Après sa libération, Buhari a décidé de se lancer dans la politique partisane, désormais convaincu des vertus de la démocratie multipartite et des élections libres et équitables.
Malgré cela, Buhari a toujours défendu le coup d’État de 1983, déclarant en 2005 : « Les militaires sont intervenus lorsque c’était absolument nécessaire et que les élus avaient laissé sombrer le pays. »
Il a également rejeté les accusations selon lesquelles les mesures qu’il avait prises à l’encontre des journalistes et d’autres personnes étaient allées trop loin. Il soutient n’avoir fait qu’appliquer les lois que d’autres avaient enfreintes.
Il a été élu président en 2015, devenant ainsi le premier candidat de l’opposition à battre un président sortant depuis le retour de la démocratie multipartite en 1999.
En tant que président, Buhari a fait de son « incorruptibilité » une vertu, déclarant sa richesse relativement modeste et affirmant qu’il avait « laissé passer plusieurs occasions » de s’enrichir.
Bien que peu de gens aient douté de son engagement personnel dans la lutte contre la corruption, certains se sont demandés si les structures permettant la mauvaise gestion avaient vraiment été réformées.
« Un sac de riz »
Le jour où Buhari a quitté ses fonctions, on a demandé à des Nigérians, dans une vidéo largement diffusée sur les médias sociaux, ce dont ils se souviendraient le plus de son mandat, et toutes les personnes interrogées ont répondu la même chose : « Un sac de riz ».
La raison en est simple : le riz est l’aliment de base du pays.
Un sac de riz standard de 50 kg, qui permet de nourrir un ménage de huit à dix personnes pendant environ un mois, ne coûtait que 7 500 nairas (environ 2 700 francs CFA) sous la présidence de Goodluck Jonathan, qui a été battu par Buhari en 2015. Il est passé à 60 000 nairas (environ 22 000 francs CFA), quelques années plus tard.
Cette situation a provoqué la famine dans de nombreuses régions du pays.
L’augmentation considérable du prix du riz s’explique par le fait que, en écho à sa politique antérieure en tant que dirigeant militaire, Buhari a interdit les importations de riz afin d’encourager davantage d’agriculteurs nigérians à cultiver cette céréale.
Cependant, les producteurs locaux n’ont pas été en mesure de répondre à la forte demande et nombre de ses partisans ont perdu confiance en lui.
Ismail Danyaro, un habitant de la ville de Kano, dans le nord du pays, a déclaré qu’il soutenait Muhammadu Buhari depuis sa première candidature à la présidence en 2003.
« J’avais l’habitude d’acheter un sac de riz de 50 kg sous Goodluck [Jonathan], mais lorsque Buhari est arrivé, j’ai eu du mal à acheter ne serait-ce qu’un sac de riz de 25 kg parce qu’il était devenu très cher », a-t-il dit à la BBC.
À un moment donné, même la femme de Buhari a menacé de ne pas soutenir sa candidature à la réélection.
Buhari n’a jamais accepté que les mesures qu’il a prises en tant que dirigeant militaire étaient répressives ou trop zélées.
« Baba, allez-y doucement »
Les Nigérians adorent les surnoms et certains d’entre eux sont restés dans les mémoires.
Par exemple, l’ancien chef militaire Ibrahim Badamasi Babangida est toujours surnommé « Maradona » pour ce que les gens percevaient comme ses dribbles tactiques sur des questions et des situations.
Pour Buhari, c’était « Baba (Père) go slow » après qu’il lui a fallu six mois pour nommer son premier gouvernement. Après sa prise de fonctions en 2015.
Réagissant à ce surnom des années plus tard, Buhari a déclaré que ce n’était pas sa faute s’il fallait tant de temps pour faire avancer les choses.
« Oui, nous sommes lents parce que le système est lent. Ce n’est pas Baba qui est lent, c’est le système, alors je suis ce système et j’espère que nous y arriverons », a-t-il déclaré en 2018.
La politique nigériane en 2022-2023 reste l’une des plus intéressantes de l’histoire démocratique du pays.
Pour beaucoup, c’est la première fois qu’un président en exercice ne se préoccupe pas vraiment de l’identité de son successeur.
Buhari a déclaré ouvertement qu’il soutiendrait celui qui obtiendrait l’investiture de son parti (All Progressives Congress).
Le langage corporel de M. Buhari a enhardi les cinq candidats qui cherchaient à obtenir l’appui de l’APC et leurs partisans ont tous affirmé qu’ils avaient son soutien.
À un moment donné, on a eu l’impression que Buhari s’opposait à la candidature de son futur successeur, Bola Tinubu.
Il s’en est suivi la déclaration de la « politique d’échange de nairas », dont l’administration Buhari a annoncé qu’elle limiterait, entre autres, l’influence de l’argent dans les élections de 2023.
De nombreux Nigérians pensaient que cette politique visait à empêcher Tinubu de devenir président, même s’il avait été choisi comme candidat de l’APC.
Cette politique impliquait la confiscation de milliers de milliards d’anciens billets en naira et leur remplacement par de nouveaux billets pour les plus grosses coupures.
Cependant, il n’y a pas eu suffisamment de nouveaux billets, ce qui a entraîné des pénuries et des souffrances pour des millions de personnes, en particulier les moins aisées, qui dépendent de l’argent liquide pour leurs transactions quotidiennes.
Cette politique n’a été suspendue qu’à la suite d’une décision de la Cour suprême, quelques jours avant l’élection.
Tinubu l’a emporté de justesse, avec 37 % des suffrages exprimés, alors que l’opposition était divisée.
Toute évaluation de la présidence de Buhari doit tenir compte de sa santé déclinante, qui l’a contraint à s’absenter du travail pendant de longues périodes, en particulier au cours de son premier mandat.
L’ancien dirigeant militaire s’est peut-être réinventé en démocrate, mais il n’a pas fait preuve d’un tel engagement de transparence concernant sa propre santé, et les Nigérians n’ont pas été informés de l’aptitude de leur chef d’État à exercer ses fonctions.
Muhammadu Buhari s’est marié deux fois, d’abord avec Safinatu Yusuf de 1971 à 1988, puis en 1989 avec Aisha Halilu, qui lui a survécu. Il a eu 10 enfants.
RSA avec BBCAfrique
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