Afin d’obtenir le paiement de 243 milliards de FCFA de ses prêts accordés aux entreprises sud-africaines, Baba Danpulo a fait saisir les comptes des filiales de groupes sud-africains de MTN Cameroon et de Chococam à Yaoundé, ripostant à la liquidation de ses immeubles, opérée en Afrique du Sud par First National Bank.
C’est le magazine panafricain « Jeune Afrique », dans sa livraison du 25 octobre 2022 qui révèle « les secrets d’une guerre judiciaire entre Baba Danpullo et l’Afrique du Sud ». Baba Ahmadou Danpullo, le milliardaire camerounais aurait obtenu le 5 septembre 2022, du tribunal de première instance de Douala Bonanjo, une ordonnance visant à saisir, auprès des banques locales, les comptes de l’opérateur MTN Cameroon et du chocolatier-confiseur Chococam (filiale du groupe agroalimentaire Tiger Brands).
L’entrepreneur réclame en effet le paiement de 243 milliards de FCFA. Le juge du tribunal de première instance de Douala Bonanjo aurait également donné son feu vert à la saisie des comptes des responsables de ces entreprises, dont ceux de Colin Mukete, le président du conseil d’administration de la filiale du groupe de télécoms. L’une de ces ordonnances porte sur le « compte float » de Mobile Money Corporation, filiale de MTN Cameroon dévolue à la monnaie électronique et logée chez Afriland First Bank. Et, sur ce compte, se trouve la contrepartie des unités de valeur que chaque utilisateur de ce service détient dans son téléphone.
Une décision de la First National Bank (FNB) sud-africaine est à l’origine de ce bras de fer. Effet informe-t-on, la FNB a décidé en 2020 de saisir et de liquider tous les immeubles de Danpullo en Afrique du Sud, évalués à 200 milliards de FCFA, selon la requête adressée par ce dernier le 31 août au tribunal de première instance de Douala Bonanjo. Danpullo s’est en effet constitué un vaste parc immobilier dans les villes de Johannesburg, du Cap et de Gqeberha (anciennement Port Elizabeth), qui lui rapporte mensuellement 800 millions de F CFA.
Ces immeubles sont administrés par Bestinver Company South Africa Ltd, Joburg Skyscraper Pty Ltd et Bestinver Prop 01 Proprietary Ltd, qui sont toutes des filiales de Bestinver, le groupe qu’il a fondé. La banque sud-africaine aurait accordé à différentes entreprises, en octobre 2017, des prêts de l’ordre de 615 millions de rands, soit (25 milliards de F CFA), prêts remboursables de l’ordre de 10 millions de rands par mois, sur dix ans. Alors qu’il restait sept années d’échéances et 550 millions de rands dus en avril 2020, la FNB aurait exigé la signature de documents complémentaires de garantie, ainsi que le remboursement intégral anticipé et immédiat du reliquat, selon Baba Danpullo et ses conseils.
Ce que ces derniers dénoncent comme « une croisade violente, anti-professionnelle, raciste, xénophobe et inhumaine » visant à déposséder le Camerounais de ses biens. Pour faire valoir ses droits, l’investisseur estime que son unique recours est une « saisie conservatoire des créances » sur les comptes de MTN Cameroon et de Chococam. Afin de convaincre le juge, le milliardaire camerounais aurait ciblé la société publique sud-africaine Public Investment Corporation (PIC, qui gère notamment le fonds de pension des fonctionnaires sud-africains) est à la fois actionnaire de MTN Group, Tiger Brands et FirstRand Group, maison mère de FNB. Ce qui autorise Danpullo à s’en prendre aux filiales camerounaises des groupes sud-africains. Outre les 200 milliards de FCFA correspondant à l’ensemble des biens « bradés », Baba Danpullo réclame également 540 millions de rands (21,6 milliards de FCFA) correspondant aux loyers perçus par FNB jusqu’en avril 2020 et 22,1 milliards de F CFA de frais de recouvrement.
Réaction de MTN Cameroon
MTN Cameroon nie tout lien avec PIC Ltd. Par conséquent, cette entreprise estime que les saisies pratiquées sur ses comptes sont abusives et manifestement injustifiées.
MTN Cameroon n’a pas tardé à réagir face à ce que l’entreprise considère comme « un dangereux précédent pour le climat des affaires au Cameroun ». Elle trouve que « les saisies pratiquées sur ses comptes sont abusives et manifestement injustifiées ». Cet acteur important de l’économie numérique dit avoir part de sa « surprise » et de « grave préoccupation » aux autorités compétentes, « sollicitant leur soutien pour que ces saisies conservatoires abusives soient levées ». En effet, de l’avis de MTN Cameroon, la Public Investment Corporation Ltd (PIC) ne fait pas partie de ses actionnaires. « La composition de l’actionnariat de MTN Cameroon est du domaine public.
Le magistrat Djapité Ndoumbé Quentin aurait pu s’en assurer en consultant le greffe de son Tribunal où l’entreprise MTN Cameroon SA est régulièrement et légalement enregistrée », précise-ton. Avant d’ajouter que « quand bien même, en raisonnant par l’absurde, la Public Investment Corporation Ltd aurait des actions dans le capital de MTN Cameroon, l’entreprise est une entité distincte de ses actionnaires ; elle ne saurait répondre de leurs obligations et être condamnée à payer à leur place ce qu’ils doivent à des tiers. Dans le pire des cas, en raisonnant toujours par l’absurde, le juge aurait pu ordonner la saisie des dividendes de l’actionnaire et non les comptes de l’entreprise, au risque de léser les droits et intérêts des autres actionnaires qui ne sont pas concernés par le différend commercial ».
Pour les responsables de MTN Cameroon, « Danpullo veut récupérer les 259 milliards de FCFA non pas en Afrique du Sud où il dit avoir été spolié de ses biens, mais…au Cameroun ». Et pourtant, « l’homme d’affaires ne dispose d’aucun titre exécutoire l’autorisant à recouvrer 259 milliards de francs CFA ni en Afrique du Sud, ni au Cameroun. Il n’apporte même pas la preuve qu’il a porté le différend commercial avec son banquier sudafricain devant les tribunaux en Afrique du Sud ».
Surtout que « sans avoir engagé une procédure contentieuse en Afrique du Sud, sans titre exécutoire, Danpullo procède au Cameroun aux saisies des comptes bancaires d’acteurs économiques majeurs sur la base d’un montage juridique grotesque, honteusement approuvé par le président du Tribunal de Première Instance de DoualaBonanjo ».
Plus grave, « joignant l’illégalité à l’absurdité, le juge a ordonné la saisie du compte de cantonnement de Mobile Money Corporation chez Afriland First Bank. Pourtant, les fonds cantonnés dans ce compte appartiennent aux clients de Mobile Money et non pas à l’entreprise. Ils sont insaisissables au vu de la réglementation CEMAC en la matière. Le caractère manifestement illégal de cette saisie a poussé le Gouverneur de la BEAC à sortir de sa réserve pour faire débloquer ces fonds. Ce qui a peut-être permis au Cameroun d’éviter une situation potentiellement embarrassante dans le cas où les millions d’abonnés de Mobile Money n’auraient subitement plus eu accès à leur argent », fait remarquer MTN Cameroon.
Comptes Bloqués
Pour Jocelyn Ziegler, avocat associé, l’entreprise a le choix entre la voie du référé, qui permettra le déblocage des comptes de manière plus rapide car justifiée par l’urgence, et la procédure de fond, laquelle, bien que beaucoup moins rapide, peut permettre à l’entreprise de se faire indemniser.
Les solutions juridiques préconisées par Me Jocelyn Ziegler, avocat associé, pourront sans nul doute servir d’issue de sortie de crise sur le bras de fer opposant l’homme d’affaires camerounais, Baba Danpullo et l’Afrique du Sud. En premier lieu, indique l’avocat, il est impératif de déterminer pour quelle raison la banque a bloqué le compte bancaire de l’entreprise, afin de trouver la solution la plus rapide permettant à celle-ci de recouvrer l’usage de ses fonds.
En effet, précise-t-il, plusieurs cas de figure peuvent entrainer le blocage du compte bancaire par la banque : c’est notamment le cas suite à un dépassement de découvert, d’une saisie-attribution, d’un avis à tiers détenteur, d’un interdit bancaire, d’une liquidation judiciaire, ou encore dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme.
Dans tous les cas, selon l’avocat, il est impératif de prendre contact avec le conseiller bancaire rattaché au compte bloqué, qui au-delà de vous indiquer la cause ayant entraîné le blocage, pourra vous donner des clés pour résoudre de la manière la plus adaptée la situation. Si le blocage du compte de l’entreprise par la banque résulte d’une saisie-attribution, c’est-à-dire si le blocage a été entraîné à cause d’une dette de somme d’argent reconnue par une décision de justice, comme cela semble être le cas ici, c’est la délivrance de l’acte de saisie par l’huissier de justice qui entraîne le blocage du compte. L’huissier doit alors avoir prévenu le représentant de l’entreprise de la signification de la saisie auprès de la banque dans les 8 jours qui suivent cette délivrance.
Le compte bancaire de l’entreprise sera alors bloqué pendant un délai de 15 jour ouvrable à la suite de cette signification, et cela dans l’optique de permettre de déterminer quel est le montant saisissable se trouvant sur le compte. Les mouvements bancaires seront de nouveau autorisés dès lors que les sommes dues auront été prélevées. Si la saisie n’a pas permis de solder la dette, il peut être intéressant de se rapprocher de l’huissier de justice pour négocier un échéancier sur les sommes restant dues et convenir des conditions de mainlevée tout en préservant le plus possible l’entreprise.
Il est également possible, rappelle l’avocat, de contester la saisie dans le mois suivant l’information de l’entreprise par l’huissier. Il convient alors de recourir au juge de l’exécution du lieu du siège de l’entreprise, d’informer l’huissier de justice et la banque de la contestation, et de remettre une copie de l’assignation au greffe.
Le paiement de la dette due est alors différé jusqu’à la décision du juge de l’exécution. Pour obtenir le paiement, l’huissier de justice devra alors présenter l’ordonnance de rejet rendue par le juge qui aurait tranché en faveur du créancier auprès de la banque. En définitive, l’entreprise a le choix entre la voie du référé, qui permettra le déblocage des comptes de manière plus rapide car justifiée par l’urgence, et la procédure de fond, laquelle, bien que beaucoup moins rapide, peut permettre à l’entreprise de se faire indemniser.
RSA Par Blaise Nnang
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