Outre sa présence croissante au Sahel, Moscou étend sa stratégie vers la côte atlantique africaine, renforçant ainsi son influence sur le continent.
Profitant de l’attention internationale focalisée sur l’Ukraine et le Moyen-Orient, la Russie continue d’étendre son influence dans plusieurs régions d’Afrique. Tirant parti du vide stratégique laissé par le retrait des pays européens, et grâce à des alliances sécuritaires et à sa présence militaire, Moscou redéfinit l’équilibre régional au Sahel et en Afrique de l’Ouest, transformant le continent en un nouveau théâtre où les puissances mondiales se disputent le pouvoir et l’influence.
Dans la stratégie russe visant à contrôler des régions clés telles que le Sahel, la guerre en Ukraine joue un rôle essentiel en servant de diversion. Ainsi, alors que le président américain Donald Trump tentait de parvenir à un accord avec son homologue russe Vladimir Poutine sur le conflit, Moscou a choisi de retarder toute résolution, gagnant ainsi du temps pour consolider son influence dans d’autres régions africaines.
Ainsi, tandis que Washington reste concentré sur l’Europe de l’Est, Moscou étend son influence vers la côte atlantique africaine dans le but d’établir des bases militaires et de signer des accords de défense, consolidant ainsi sa présence sur le continent.
À cet égard, l’analyste politique Zeinab Riboua prévient dans une analyse publiée dans National Interest que si l’administration Trump n’agit pas pour freiner cette expansion, le Kremlin pourrait consolider un nouveau point d’appui stratégique sur le flanc sud de l’OTAN.
De plus, la Russie n’est pas la seule puissance à tenter de s’étendre sur le continent africain. D’autres pays comme la Chine, la Turquie et la République islamique d’Iran profitent également du retrait occidental au Sahel, en particulier après l’expulsion des forces françaises de pays comme le Mali et le Burkina Faso.
Ces deux pays, tout comme le Niger, sont actuellement gouvernés par des juntes militaires proches de Moscou. Les nouveaux dirigeants du Sahel sont arrivés au pouvoir à la suite de coups d’État, dans un contexte marqué par la montée du terrorisme djihadiste et l’incapacité des autorités à endiguer cette menace.
Profitant de cette situation et s’appuyant sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme, Moscou consolide sa position sur le continent. En effet, la Russie est déjà devenue le premier fournisseur d’armes de l’Afrique, représentant 40 % de ses importations totales d’armements. En outre, lors du sommet Afrique-Russie qui s’est tenu à Sotchi en novembre dernier, le président Poutine a réitéré son engagement à « apporter un soutien total à nos amis africains ».
Toutefois, comme le souligne Riboua, la Russie n’est pas seule dans cette stratégie, puisqu’elle coordonne ses actions avec la Chine et l’Iran, « formant un axe stratégique qui cherche à défier l’hégémonie occidentale sur terre, sur mer et dans les airs ».
Riboua souligne également que la présence croissante de Moscou au Burkina Faso, au Mali et au Niger, ainsi que la création en 2023 de l’Alliance des États du Sahel, reflètent une stratégie claire de la part du Kremlin. « Entre 2020 et 2023, des régimes militaires soutenus par la Russie ont pris le pouvoir par des coups d’État dans ces pays, rompant leurs liens avec leurs anciens alliés occidentaux, tels que la France et les États-Unis », explique-t-il.
Suivant les recommandations de Moscou, ces gouvernements ont renforcé leur coopération en matière de sécurité en créant une force conjointe composée de 5 000 soldats provenant du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Ce déploiement consolide l’influence russe au Sahel tout en affaiblissant la présence occidentale dans la région.
Dans ce contexte, Moscou a joué un rôle clé en menant des campagnes de propagande fondées sur un discours anticolonialiste, dans le but d’attiser le sentiment francophobe dans toute la région, ce qui a contribué à l’expulsion des troupes françaises dans plusieurs pays.
Ainsi, les forces soutenues par la Russie ont remplacé les troupes françaises dans le cadre de l’opération Barkhane, la mission militaire française au Sahel pour lutter contre le terrorisme, qui s’est achevée en décembre 2022 après une détérioration progressive des relations diplomatiques entre Paris et les nouveaux gouvernements issus de coups d’État.
Parallèlement, alors que les crises diplomatiques s’aggravaient et que les troupes françaises quittaient la région, le groupe Wagner, pièce maîtresse de la stratégie russe, est devenu un acteur militaire essentiel au Sahel. Fort de ce soutien, Moscou transforme le paysage sécuritaire africain, offrant une protection militaire et une couverture diplomatique aux régimes alliés et garantissant leur loyauté à long terme.
Cependant, les mercenaires du groupe Wagner ont été accusés de violations des droits humains à l’encontre de la population civile, ce qui a facilité le recrutement par les groupes djihadistes parmi la population locale.
L’organisation Human Rights Watch (HRW) a dénoncé à l’été 2023 que les mercenaires russes et les forces armées maliennes avaient « sommairement exécuté et fait disparaître de force plusieurs dizaines de civils » depuis décembre 2022. HRW affirme également que Wagner a pillé des biens civils et aurait torturé des détenus dans des camps militaires.
Outre son rôle militaire, le groupe russe créé par Yevgeny Prigozhin aurait amassé une fortune colossale en protégeant les régimes de la région en échange du contrôle des mines d’or. En effet, l’une des principales raisons de l’intérêt marqué de la Russie et d’autres pays comme la Chine pour le Sahel réside dans ses abondantes ressources naturelles, notamment minérales, telles que l’or, l’uranium, le lithium, le fer et d’autres métaux précieux.
Alors que Moscou utilise ce qu’on appelle le « hard power », Pékin a plutôt tendance à recourir à des investissements et à des projets d’infrastructure dans le cadre de l’initiative de la « Ceinture et la Route » afin de garantir des accords d’exploitation minière et commerciaux.
Outre son intérêt évident pour le Sahel, Moscou étend également cette stratégie au-delà de la région, jusqu’à la côte atlantique africaine. Ses actions en Afrique de l’Ouest et en Afrique subsaharienne sont directement liées à son objectif de contrer la pression occidentale après l’invasion de l’Ukraine. En ouvrant de nouveaux fronts d’influence, elle cherche à déstabiliser des régions historiquement sous contrôle européen et américain.
Dans le cadre de cette tactique, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu en Mauritanie en février 2023. Riboua note que, bien que le gouvernement mauritanien ait alors réaffirmé son attachement au droit international, il a également exprimé sa « compréhension » à l’égard des préoccupations russes en matière de sécurité, ce qui montre que le discours de Moscou gagne du terrain sur le continent.
Cela s’est manifesté dans les nombreuses résolutions de l’ONU sur la guerre en Ukraine, où une partie importante des pays africains a adopté une position plus ambiguë ou plus distante des positions occidentales et, dans plusieurs cas, plus proche de la Russie, montrant une plus grande affinité ou compréhension envers Moscou que l’Occident.
Outre la Mauritanie, la Russie s’intéresse également à la Guinée équatoriale, où Riboua estime qu’elle a adopté une approche encore plus directe. Moscou aurait déployé quelque 200 soldats pour protéger le régime du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, répétant sa stratégie habituelle consistant à offrir la sécurité en échange d’une influence géopolitique.
Avec ses richesses pétrolières et sa position stratégique dans le golfe de Guinée, ce pays, historiquement dominé par les puissances occidentales, représente une plate-forme idéale pour projeter sa puissance.
Selon Riboua, cette expansion profite à la Russie sur trois fronts. Premièrement, la zone d’influence russe, qui comprend désormais le Mali, le Burkina Faso et le Niger, forme une barrière géopolitique qui oblige des pays comme le Tchad, le Bénin, le Ghana et la Côte d’Ivoire, alliés traditionnels de l’Occident, à repenser leurs alliances.
Deuxièmement, l’exclusion de l’Union africaine et de la CEDEAO par l’Alliance du Sahel réduit la capacité de ces blocs à coordonner des réponses régionales, favorisant ainsi la prédominance russe. « En érodant ces cadres, Moscou s’assure que toute réponse à l’instabilité se fera selon ses propres conditions », souligne l’analyste.
D’autre part, en rendant plus difficile l’opération des forces de l’OTAN et des États-Unis au Sahel, la Russie pousse les opérations antiterroristes vers les États côtiers vulnérables, ce qui complique l’échange de renseignements et réduit la capacité d’action occidentale. Selon Riboua, « c’est le type de champ de bataille où la Russie prospère, où les interventions occidentales sont lentes, tandis que Moscou se présente comme le nouveau garant de la sécurité ».
L’objectif final de la Russie est clair : atteindre et consolider sa présence sur la côte atlantique africaine. Bien que la construction d’une base navale russe dans la région n’ait pas encore été officiellement annoncée, les liens croissants avec la Guinée, la Mauritanie et la Guinée équatoriale suggèrent que ce n’est qu’une question de temps.
Le véritable danger ne réside pas seulement dans la présence militaire russe, mais aussi dans sa capacité d’initiative et la perte de marge de manœuvre de l’Occident, dont les outils traditionnels d’influence semblent de moins en moins efficaces. En revanche, la Russie agit rapidement, capitalisant sur les crises comme autant d’opportunités et se positionnant pour imposer ses conditions plutôt que de les négocier.
D’autre part, Moscou mise également sur le soft power, en ouvrant des centres culturels et éducatifs en Afrique et en offrant des bourses aux étudiants du continent dans le but de construire une base de soutien populaire et de former une nouvelle élite africaine fidèle à ses intérêts, imitant ainsi la stratégie précédemment utilisée par la Chine.
En outre, Riboua prévient que ce changement renforce le bloc stratégique de la Russie : « L’Iran s’est assuré l’uranium nigérian après un coup d’État soutenu par le Kremlin, tandis que la Chine étend sa domination à mesure que Moscou érode l’influence occidentale ». « Ensemble, Moscou, Téhéran et Pékin sont en train de forger un axe qui défie directement les intérêts américains dans le monde entier », ajoute-t-il.
Depuis l’époque coloniale jusqu’à la guerre froide, l’Afrique a été le théâtre de rivalités entre les grandes puissances. Aujourd’hui, la Russie revient sur le continent avec une approche moins idéologique et plus pragmatique, s’appuyant sur l’armement et des sociétés telles que Wagner, dans le but de retrouver et d’étendre l’influence qu’elle avait à l’époque soviétique, en l’adaptant aux dynamiques actuelles. « Lorsque l’Occident réagira, l’équilibre des pouvoirs aura peut-être déjà changé », conclut Riboua.
RSA avec Atalayar
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