La porte-parole du Tribunal de première instance de l’Ariana Fatma Bougottaya, a annoncé vendredi 27 mai 2022, que le juge d’instruction a ordonné des interdictions de voyage à l’encontre de plusieurs individus concernés par l’enquête sur l’affaire dite de l’appareil secret d’Ennahdha, dont Rached Ghannouchi, le président de ce parti islamiste.
Ces interdictions de voyage ont été décidées , aujourd’hui, dans le cadre de l’affaire 24270 relative à l’appareil secret d’Ennahdha, et qui concerne à ce jour 34 suspects, a-t-elle affirmé dans une déclaration à Mosaïque FM, et ce faisant suite à la demande émise par la ministre de la Justice Leila Jaffel.
L’étau se resserre sur Ghannouchi dans l’affaire de l’appareil secret d’Ennahdha
L’interdiction de voyage prononcée hier soir, vendredi 27 mai 2022, par le tribunal de première instance de l’Ariana dans le cadre de l’enquête sur l’affaire dite de l’appareil secret d’Ennahdha, à l’encontre de plusieurs responsables du parti islamiste, y compris de son président Rached Ghannouchi, a beaucoup surpris les concernés, qui ont cru jusque-là qu’ils étaient intouchables.
Le parti Ennahdha n’a pas tardé à réagir en rendant public une déclaration à l’opinion publique où il précise que son président n’a reçu aucune notification de la prise d’une telle décision à son encontre, notant que ce dernier «n’a pas l’intention de se rendre à l’étranger, malgré les nombreuses invitations qu’il a reçues pour participer à plus d’une manifestation internationale, notamment le Forum de Davos, en sa qualité de président de l’assemblée», laquelle, rappelons-le, avait été dissoute par un décret présidentiel.
Pressions sur l’autorité judiciaire, disent-ils !
Tout en affirmant que leurs experts juridiques sont en train d’interagir avec les éléments de cette affaire, Ennahdha a estimé que ce qui se passe actuellement vise à «détourner l’attention de l’opinion publique de ses véritables préoccupations et de la réalité de la crise politique et économique provoquée par le coup d’État contre la constitution et ses répercussions négatives sur la situation économique et les tensions sociales», ajoutant que cela cache mal «l’incapacité de l’autorité putschiste à améliorer les conditions de vie des citoyens qu’accablent les hausses injustes des prix et des taxes», par allusion aux mesures exceptionnelles, proclamées le 25 juillet dernier par le président Saïed, en vertu desquelles les islamistes, qui ont gouverné le pays sans discontinuer depuis 2011, ont été éjectés du pouvoir.
«Ghannouchi reste à la disposition d’un système judiciaire équitable et indépendant, en raison de sa conviction que le prétendu dossier de l’appareil secret (d’Ennahdha, Ndlr) est totalement fabriqué», ajoute le parti islamiste dans son communiqué, en avertissement l’opinion sur ce qu’il qualifie de «pression continue sur le système judiciaire par Kaïs Saïed».
L’impunité ne dure qu’un temps
Ennahdha ne croit pas si bien dire. En effet, le chef de l’Etat, dès sa prise de fonction, au lendemain de son élection en novembre 2019, n’a cessé de déplorer le laxisme et le laisser-aller de certains juges qui laissent traîner en longueur et en largeur les affaires impliquant des dirigeants politiques, notamment ceux d’Ennahdha, et des hommes d’affaires influents. Et l’affaire dite de l’appareil secret d’Ennahdha, qui serait impliqué dans les assassinats politiques, notamment ceux de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, a fait l’objet de nombreuses révélations et diffusions d’éléments à charge faites par le comité de défense des deux martyrs de la gauche tunisienne, tués devant chez eux, le 6 février et le 25 juillet 2013, par des extrémistes religieux de la mouvance islamiste.
Les dossiers ont longtemps traîné dans les méandres d’une justice aux ordres, maintenue sous l’autorité du parti islamistes. Ils ont été manipulés et des éléments à charge détruits par des juges ripoux, mais l’impunité ne dure qu’un temps et la justice finit toujours par triompher. C’est du moins ce qu’espèrent aujourd’hui les Tunisiens pour pouvoir fermer définitivement la parenthèse du règne destructeur des islamistes qui a mis la Tunisie dans la crise profonde où elle se morfond depuis 2011.
La richesse présumée de Ghannouchi
Des militants tunisiens lancent une initiative pour surveiller l’héritage du leader d’Ennahdha. D’où vient l’immense richesse de Rached Ghannouchi ?
C’est ce que tente de découvrir une initiative lancée par le militant tunisien Anis al-Mansouri. À ce jour, plus de 5 000 personnes ont déjà signé la pétition qui, sous le slogan « Time to change » (Il est temps de changer), cherche à faire la lumière sur l’héritage précieux du président du Parlement et chef du parti islamiste Ennahdha.
Selon le journal Al-Ain, la richesse totale de Ghannouchi ne peut être établie que sur la base d’un large éventail d’estimations. L’Émirati moyen dit que ses avoirs se situent entre 1 et 8 milliards de dollars, un montant qui a augmenté de façon exponentielle depuis le retour d’exil du vétéran politique en 2011.
L’initiative de M. Al-Mansouri vise à déterminer comment ses avoirs ont tant augmenté ces dernières années.
À cette fin, il propose de créer un comité indépendant, sans lien avec la politique, qui comprendrait des représentants de l’Union générale tunisienne du travail, de la principale association de travailleurs du pays, de l’Union patronale, de l’Association pour la défense des droits de l’homme, de l’Autorité tunisienne de lutte contre la corruption et de la Banque centrale, entre autres.
« Nous ne demandons que la transparence financière dans les milieux politiques et gouvernementaux, car il n’est pas raisonnable qu’une personne entre en politique et, une fois qu’elle a obtenu des postes au gouvernement ou dans un parti, devienne une personne riche », explique Al-Mansouri à Al-Ain.
En effet, bien que Ghannouchi soit un visage reconnaissable dans la politique tunisienne depuis des décennies, il n’a été au pouvoir qu’après les manifestations citoyennes qui ont mis fin à la dictature de Zin al-Abidine Ben Ali en 2011. Jusqu’alors, il avait été à Londres pendant deux décennies.
Depuis son retour dans le pays d’Afrique du Nord, Ghannouchi a réussi à se positionner comme l’une des personnes les plus puissantes du pays ; un leader que le mouvement islamiste tunisien lui-même, très proche de la tendance mondiale des Frères musulmans, a enveloppé d’une aura d’invulnérabilité qui ne laisse aucune place à l’investigation d’éventuels cas de corruption.
Cependant, sa richesse a été, pendant des années, une sorte de secret de Polichinelle, un tabou dont l’existence est connue de tous, mais dont personne n’ose parler ouvertement. Le plus frappant est que Ghannouchi, selon Al-Ain, n’a jamais été aussi occupé que dans ses fonctions au sein d’Ennahdha et son rôle de personnage public. Ses partisans ont souvent affirmé que ses ressources proviennent de la vente de livres, mais ses détracteurs mettent en doute cette hypothèse. De nombreux partis d’opposition laïques et progressistes ont déjà attiré l’attention plus d’une fois sur les revenus présumés du leader islamiste.
Liens avec la confrérie
L’activiste Mourad Nouri évoque les importantes sommes d’argent qui sont arrivées en Tunisie, principalement du Qatar et de la Turquie, pour financer l’activité des Frères musulmans. La plupart de ces transactions sont camouflées en envois de fonds destinés à doter des institutions caritatives ou coraniques. Zubair al-Shahoudi, ancien secrétaire général de la Confrérie en Tunisie, a accusé Ghannouchi et sa famille de s’enrichir en détournant ce type de fonds.
Les transferts de capitaux importants provenant d’organisations caritatives sont un mode de fonctionnement courant des acteurs engagés dans le soutien économique aux groupes islamistes. Ainsi, le Qatar a une longue histoire de financement non seulement des Frères musulmans, mais même des groupes terroristes djihadistes. Il convient de rappeler que la Confrérie, bien qu’elle soit considérée comme une organisation terroriste dans son pays d’origine, l’Égypte, n’a pas suscité un large consensus sur son nom en tant que tel.
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