Du jamais vu pour un pays africain, dont la grande majorité opte plutôt pour la multiplication des adhésions aux organismes internationaux, afin d’asseoir davantage leur rayonnement international et leur zone d’influence diplomatique. Mais dans le cadre de la nouvelle loi de finances, le Cameroun entend se retirer de 35% des organisations internationales auxquelles il est membre, afin de faire des économies.
Membre fondateur de l’OUA, ancêtre de l’Union africaine, le Cameroun est suspendu de parole pour non-paiement de ses contributions, estimées à environ deux milliards de FCFA.
De sources internes à l’Union africaine (UA), le Cameroun a été suspendu de parole pour non-paiement de ses contributions financières à l’organisation continentale. Une sanction lourde de conséquences : Yaoundé n’a pas pu assurer la présidence tournante du Conseil de paix et de sécurité (CPS) pour le mois de novembre 2025.
Cette situation a profondément embarrassé les autorités camerounaises, tant à la présidence de la République qu’au ministère des Relations extérieures (MINREX). À Addis-Abeba, les diplomates de l’ambassade du Cameroun ont subi de plein fouet cette mise à l’écart : privés de droit de parole lors des travaux et événements officiels de l’UA, ils restent suspendus jusqu’au règlement intégral des arriérés. Nos sources au sein du ministère camerounais des Finances indiquent que l’ardoise du pays envers l’institution panafricaine s’élève à environ deux milliards de francs CFA.
Ce défaut de paiement ne serait pas le fruit d’un simple oubli. Il résulterait d’éventuelles irrégularités internes, notamment au sein de la Direction générale du Trésor. Signatures retardées, procédures internes : autant de goulots qui ont paralysé le virement des fonds vers Addis-Abeba. À Yaoundé, la situation met les nerfs du ministre Lejeune Mbella Mbella, à rude épreuve. Par le passé, il avait réussi à dissuader l’Union africaine de sanctionner le Cameroun, malgré des retards de paiement récurrents.
Un cadre financier strict
L’Union africaine, confrontée à une dépendance excessive vis-à-vis des bailleurs extérieurs et à la faiblesse récurrente des contributions des États membres, a engagé une réforme profonde. Elle entend garantir un financement prévisible, durable et équitable de ses activités — de la paix à l’intégration économique. Par ce chantier, l’organisation renforce l’autonomie budgétaire du continent et responsabilise les États membres. Les États membres doivent verser leurs contributions statutaires au plus tard le 1er janvier de chaque exercice financier. Dans les faits, cependant, ils les versent rarement à temps, ce qui provoque des tensions de trésorerie. La suspension du Cameroun ne relève donc pas d’une décision politique : l’Union africaine applique mécaniquement un règlement désormais strict.
En novembre 2018, l’Union africaine a adopté un régime de sanctions renforcé afin d’assurer le respect des obligations financières des États membres. L’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement a entériné ce régime, qui établit une gradation des sanctions en fonction de l’ancienneté du retard. Après six mois, l’UA considère l’État en défaut et lui retire notamment le droit de prendre la parole lors des réunions. A un an, elle ajoute des sanctions intermédiaires — suspension de participation aux bureaux d’organes, interdiction d’héberger des institutions, exclusion de ressortissants dans certaines missions. Après deux ans, l’Union applique des sanctions plus lourdes, pouvant aller jusqu’à une suspension étendue.
Des États en « incapacité de payer »
Le régime de sanctions financières de l’Union africaine prévoit une disposition spécifique pour les États que l’instance reconnaît en « incapacité objective de payer ». Cette catégorie, que l’UA encadre strictement, concerne les pays qui font face à des situations de force majeure : conflits armés majeurs, catastrophes naturelles, effondrement institutionnel ou crise économique profonde. Selon les Règles financières révisées de l’UA, un État peut solliciter une suspension temporaire des sanctions, mais il doit au préalable soumettre sa situation à un examen formel du Comité des sanctions. Celui-ci fonde son analyse sur des preuves documentées et transmet un avis favorable à l’Assemblée, seule habilitée à valider la mesure. En pratique, cette procédure a bénéficié à quelques États que des crises prolongées ont plongés dans de graves difficultés.
La Somalie, par exemple, a obtenu des aménagements et un plan de paiement adapté, car des décennies d’instabilité ont fragilisé durablement l’État. Le Burundi a reçu l’autorisation d’étaler le règlement de ses arriérés dans un cadre pluriannuel qui tient compte de ses contraintes financières. La Libye, que le conflit complexe a déstabilisée, a vu l’Union africaine réduire une partie de ses arriérés dans le cadre d’un accord formellement approuvé. Ces cas illustrent la logique de l’UA : l’organisation reconnaît une incapacité structurelle, mais refuse de couvrir une simple négligence administrative.
Le Cameroun ne relève d’aucune de ces catégories. « Le pays ne vit ni une guerre généralisée, ni un cataclysme, ni une situation de délitement institutionnel », analyse un économiste. Son économie, malgré ses fragilités, ne montre aucun signe d’effondrement susceptible de justifier une impossibilité matérielle de s’acquitter d’une contribution pourtant relativement modeste au regard du budget national.
Un timing désastreux pour Yaoundé
L’épisode humilie d’autant plus le Cameroun qu’il survient au moment où le pays présidait le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, l’un des organes les plus stratégiques de l’organisation. « Un pays fondateur subit là une véritable humiliation », confie un diplomate à la retraite. Cette affaire révèle au grand jour une réalité que de nombreux hauts fonctionnaires dénoncent en privé : l’administration camerounaise se pénalise elle-même. Alors que l’UA exige un financement plus autonome et plus responsable, le Cameroun affiche une incapacité administrative manifeste.
Selon nos informations au sein du ministère des Finances, les services compétents devraient régulariser le paiement dans les prochains jours. Mais cette défaillance a déjà terni l’image du pays. Pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, un État fondateur perd sa voix pour n’avoir pas honoré une contribution pourtant minime à l’échelle nationale.
Au-delà de l’incident, cette situation met en lumière la fragilité du financement continental. Plus de 40 % des États membres ne versent pas régulièrement leurs contributions et entretiennent ainsi une dépendance structurelle vis-à-vis des partenaires extérieurs.
Par Regard Sur l’Afrique et Jean Daniel MVONDO, à Yaoundé






















































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