Dans la région de l’extrême-nord du Cameroun, le camp de réfugiés de Minawao est toujours saturé. Le seuil de 77 000 réfugiés a été franchi et les infrastructures et moyens pour répondre aux besoins alimentaires, sanitaires et éducatifs sont insuffisants. La situation atteint un point critique qui n’est pas soutenable sur la durée, selon les organisations humanitaires.
Construit en 2013 à 70 km de la frontière nigériane pour accueillir les victimes du groupe terroriste Boko Haram, le camp de Minawao n’a pas été conçu pour durer. Pourtant, une décennie a passé et le camp est toujours là. Sauf que les différentes extensions n’ont pas suffi.
Situé dans le département camerounais du Mayo-Tsanaga, , le camp de Minawao était déjà considéré comme saturé, alors que la population y était deux fois moindre qu’actuellement. À présent, avec environ 77 000 réfugiés, les organisations humanitaires disent bien que la situation n’est pas tenable.
L’an dernier, le camp a dû absorber jusqu’à 5 000 nouveaux arrivants en septembre, soit dix fois plus qu’en temps « normal ». Les réfugiés viennent directement du Nigéria : certains étaient déjà sur le sol camerounais, mais se débrouillaient jusqu’à présent sans assistance humanitaire.
Pour expliquer cet afflux, les humanitaires mettent en avant plusieurs facteurs. La violence, d’une part, car les factions issues de Boko Haram continuent de s’en prendre aux habitants côté nigérian et le long de la frontière côté camerounais. Ensuite, la dégradation de la situation économique joue aussi un rôle. L’inflation, la chute de la monnaie nigériane naïra, ou encore la pression sur les terres arables au Cameroun jouent un rôle sur l’afflux de réfugiés.
Déplacés obligés de puiser dans les ressources de la réserve naturelle, créant un conflit avec les locaux
Mais si les besoins augmentent, les fonds ne suivent pas : pire, ils diminuent. Il n’y a pas eu de distribution alimentaire à Minawao en novembre, seulement partiellement une en décembre, puis de nouveau rien en janvier et février. En mars, elle n’a été que partielle. Certains réfugiés puisent dans leurs dernières économies, mais face à une telle situation, d’autres préfèrent repartir.
Situé dans une région au climat semi-aride, Le camp doit également faire face à d’autres pénuries : pas assez de ressources naturelles en eau, pas assez de terres cultivables autour, pas assez de forêts non plus, comme le souligne Halidou Demba, président de Public Concern. Cette ONG basée à Maroua travaille avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres organisations pour fournir une assistance à ceux qui ont fui les exactions des groupes armés.
« Ces populations sont obligées de couper du bois aux environs de Minawao pour cuire leurs aliments et construire leurs abris, explique Halidou Demba. Et ça fait une pression sérieuse sur le capital naturel. Ces populations réfugiées sont également souvent en conflit avec les populations locales qui voient leurs ressources s’amenuiser en raison de la présence des demandeurs d’asile. »
Malgré des programmes de reboisement et de plantations autour du camp de Minawao, les réfugiés continuent de s’approvisionner en bois dans la réserve forestière de Zamaï, faute de solution.
« Il faut un plan, des relocalisations, le développement d’infrastructures, d’industries, d’un tissu économique, pour que les gens travaillent »
Selon la cheffe du bureau du HCR à Maroua, Kimberly Roberson, il y a plusieurs facteurs qui expliquent la précarisation des déplacés. « Début 2023, on a assisté à une forte augmentation du nombre d’arrivées. Cela a continué à augmenter jusqu’en septembre, où entre 4 000 et 5 000 personnes sont arrivées en un mois. Il y a plusieurs raisons à cela : les terroristes continuent leurs activités. Mais aussi, des opérations militaires au Cameroun et au Nigeria ont permis à des gens de quitter des zones, dont ils ne parvenaient pas à quitter depuis un moment. Puis il y a eu une baisse radicale des arrivées en octobre. Parce qu’il est devenu évident que le site de Minawao était complètement saturé. Il n’y avait plus de place pour de nouvelles tentes. »
Pour elle, un autre facteur a été la baisse alimentaire « Ensuite, l’aide alimentaire a soudainement cessé. Il n’y a eu aucune distribution de nourriture en novembre, 50 % en décembre, rien en janvier, rien en février et partiellement seulement en mars. Pourtant, il y a encore entre 100 et 400 personnes qui arrivent chaque jour à Minawao, dans ce contexte où l’aide humanitaire diminue bien plus rapidement que ce à quoi les gens peuvent s’adapter.
Pour Kimberly Roberson, Minawao est un exemple parmi d’autres du déficit de financement des opérations d’assistance. La responsable du HCR avance des pistes pour sortir de la crise.
Ce sont 77 000 personnes vivant dans une grande dépendance à l’aide humanitaire. Pour sortir de ça, on ne peut pas simplement leur dire de quitter le camp et se débrouiller. Il n’y a pas les ressources naturelles autour pour subvenir aux besoins. Donc il faut donc un plan : quelques relocalisations, mais aussi le développement d’infrastructures, d’un certain type d’industries, d’un tissu économique, pour que les gens travaillent. Parce qu’il n’y a tout simplement pas assez de terres : le camp de Minawao est entouré de montagnes. Le Cameroun est un pays incroyablement généreux envers les réfugiés. Il leur permet de travailler, d’aller à l’école, de se déplacer là où ils le souhaitent, mais la situation économique globale dans l’Extrême-Nord n’est pas d’un niveau qui permette aux gens de se défaire de l’aide humanitaire. Alors quand cette aide chute radicalement, brusquement et du jour au lendemain, cela crée d’énormes problèmes de vulnérabilité et les gens prennent de gros risques pour faire vivre leur famille. Les réfugiés utilisent toutes leurs économies pour acheter de la nourriture. Les femmes adoptent ce qu’on appelle par euphémisme des « mécanismes d’adaptation négatifs » : sexe contre nourriture, sexe contre soins. La situation devient critique. Oui, les donateurs sont fatigués de ces crises qui durent, mais j’encourage vraiment les bailleurs de fonds à considérer cet environnement comme un environnement de changement. Une approche durable nécessite des investissements initiaux plus élevés, mais qui seront plus faibles au fil du temps. Car de toute façon, la situation ne s’arrangera pas seule. Les gens ne deviendront pas autosuffisants sans investissements.
Kimberly Roberson, cheffe du bureau du HCR à Maroua, déplore la situation dans l’extrême-nord du Cameroun et avance des solutions possibles
Amélie Tulet
RSA avec RFI
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