Le nouveau directeur de la branche spatiale d’Airbus en Espagne, Luis Guerra, ambitionne de mettre en place une ligne de production performante à Getafe.
L’entreprise industrielle européenne Airbus est bien connue pour sa large gamme d’avions de passagers, un peu moins pour être le fabricant du chasseur Eurofighter ou de l’avion de transport militaire A400M, et dans une bien moindre mesure pour être l’un des principaux producteurs mondiaux de satellites et de lanceurs spatiaux.
Le responsable de la branche spatiale d’Airbus en Espagne depuis quelques mois s’appelle Luis Guerra et débarque après 25 ans d’expérience de management de projets aéronautiques liés au cycle de vie d’une large gamme d’avions commerciaux et militaires.
Il surprend son interlocuteur en déclarant : « Je suis à l’aise avec l’ambiguïté ». Il précise que les projets entrepris par Airbus « sont transversaux et non linéaires, avec de fortes incertitudes, des risques élevés et de longues chaînes d’approvisionnement ». En bref, ils se déroulent dans « des environnements très complexes qui sont exécutés dans un environnement transnational et interculturel ». Mais grâce à sa longue expérience, à sa formation et à sa pratique des valeurs, « j’ai appris à synthétiser et à gérer l’ambiguïté ».
Il y a deux mois, le roi Felipe a inauguré la nouvelle grande usine dédiée aux projets spatiaux qu’Airbus Space Systems en Espagne – nom officiel de l’entreprise – a construite à Getafe, près de Madrid. Avec un effectif d’environ 550 techniciens, la plus grande salle blanche d’Europe du Sud y a été installée, plus grande que celle de l’usine d’Airbus Space Systems à Friedrichshafen, dans le sud de l’Allemagne, au bord du lac de Constance.
Que signifie le transfert à Getafe de l’activité satellites et lanceurs d’Airbus Space Systems en Espagne ?
Cela signifie que nous retournons à Getafe, là où notre activité spatiale a vu le jour. Le résultat est le troisième grand complexe industriel d’Airbus dans le monde. Le premier se trouve à Toulouse, dans le sud de la France, le deuxième à Hambourg, dans le nord de l’Allemagne, et le troisième à Getafe, tout près de Madrid, qui est unique en ce sens qu’il est le seul des trois à réunir tous les principaux domaines d’activité de l’entreprise : avions commerciaux, avions militaires, hélicoptères, satellites, lanceurs, renseignement et siège d’Airbus en Espagne.
Il y a quelques années, Enaire, le gestionnaire national de la navigation aérienne, et la multinationale technologique Indra ont lancé le projet Startical afin d’améliorer le suivi et les communications par satellite avec les avions en vol. Airbus a-t-il des liens avec ce projet ?
Pas pour l’instant, mais nous avons exprimé notre intérêt à y participer. À mon avis, nous sommes la seule entreprise nationale ayant la capacité avérée de mettre en place une chaîne de production en série pour des satellites à double usage. Il s’agit de dispositifs éprouvés et fiables, tels que la plateforme Arrow qu’Airbus a développée pour la constellation OneWeb, dont l’objectif principal est de fournir des services Internet partout dans le monde.
Nous avons non seulement la capacité de réaliser une plateforme fiable, mais aussi de développer une chaîne d’approvisionnement optimale pour atteindre un taux de production raisonnable et passer d’un artisanat de haute technologie à une production de masse de haute technologie. À cela s’ajoute notre capacité à soutenir la croissance des fournisseurs susceptibles de participer au projet. Si nous nous dépêchons et investissons de manière appropriée, il s’agira d’une initiative majeure pour l’Espagne.
Chaque jour qui passe, l’idée que l’Europe devrait avoir sa propre autonomie en matière de vols spatiaux habités gagne du terrain. Qu’en pense Airbus ?
Nous sommes ravis ! S’il y a une entreprise sur le vieux continent qui réunit les conditions pour faire des vols spatiaux habités une réalité, c’est bien Airbus. Je veux dire par là que dans toute équation où il est envisagé que l’Europe envoie des astronautes dans l’espace sur ses propres lanceurs… Airbus doit être présent.
Nous participons déjà aux missions Artemis de la NASA. Nous contribuons à la capsule habitée Orion avec le module de service européen qui la complète et qui permet aux astronautes à bord de survivre. Nous attendons donc une prochaine réunion des ministres de l’Agence spatiale européenne pour en discuter.
La guerre en Ukraine a entraîné la rupture des projets spatiaux euro-russes. Cette coopération reprendra-t-elle au fil des années ?
Je ne suis pas devin. Nous avons une coopération importante avec la Russie depuis une quarantaine d’années et il est dommage qu’elle se soit arrêtée aussi brutalement. Toutefois, cette interruption a permis à l’industrie spatiale européenne d’identifier ses besoins afin d’être totalement indépendante des technologies russes. A mon avis, pour le moment, il n’est pas envisageable de reprendre la coopération.
Et qu’en est-il de la possibilité d’un rapprochement spatial avec la Chine ?
Pourquoi pas ? La Chine a acquis un degré surprenant d’autonomie et de dimension dans le secteur spatial. Elle possède sa propre station spatiale habitée, qu’elle finance elle-même. Chaque année, d’innombrables lancements dans l’espace ont lieu. Et au niveau euro-chinois, nous sommes impliqués dans le satellite scientifique SMILE, dont nous assumons la composante européenne chez Airbus Space Systems en Espagne et qui a pour but d’étudier le bouclier magnétique qui protège la vie sur Terre.
Bien qu’il faille garder à l’esprit que la Chine est considérée comme une menace pour l’Occident dans certains forums, il ne faut pas oublier qu’Airbus coopère avec la Chine depuis de nombreuses années dans la production d’avions et d’hélicoptères civils.
Quel est l’état d’avancement d’Ariane 6 et son vol inaugural est-il toujours prévu pour la fin de l’année ?
Selon les informations du programme et d’Arianespace, le décollage de la première Ariane 6 est toujours prévu pour la fin de l’année, sous réserve du respect d’un certain nombre de jalons et de la maîtrise des risques technologiques associés.
La première étape à franchir est la fin du développement d’Ariane 6, c’est-à-dire l’achèvement complet du lanceur. Deuxièmement, la réussite des essais de l’étage supérieur. La troisième étape consiste à réaliser l’intégration électromécanique du lanceur en Guyane française. Enfin, la quatrième et dernière étape est d’avoir terminé les essais de qualification du logiciel de contrôle du lancement, dont le Centre national d’études spatiales français, le CNES, est responsable.
Si le premier vol est un succès, quel sera l’impact sur l’usine Airbus de Getafe ?
Le résultat immédiat sera la durabilité du rythme de production. Pour l’instant, nous avons passé des contrats pour la fabrication de structures et d’autres équipements pour un total de 15 lanceurs. Et nous sommes en pleine négociation pour conclure notre contribution au deuxième lot de fusées. Mais nous devons attendre le résultat du tir inaugural.
Que reste-t-il à transférer de l’ancien siège de Barajas à la nouvelle usine de Getafe ?
La grande majorité de notre personnel se trouve déjà à Getafe. Environ 350 personnes ont déjà déménagé. La seule chose qui reste à Barajas, ce sont les activités qui se déroulent dans les salles blanches. Elles s’y poursuivent parce que certains projets sont en phase finale et qu’il n’est pas souhaitable de déménager tant que le processus de production n’est pas achevé.
À Barajas, nous finalisons la mise au point des antennes actives en bande X que nous avons développées pour les satellites de communication espagnols avancés Spainsat New Generation, le travail sur le projet euro-chinois SMILE, les antennes actives pour les satellites Galileo New Generation, les nouveaux réflecteurs pour le satellite Eutelsat 36 et les instruments pour les satellites météorologiques européens MetOp-SG. Nous prévoyons de quitter Barajas à la fin de l’année 2023.
Par Tinno BANG MBANG
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