Le gouvernement éthiopien a demandé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’enquêter sur son propre patron, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Addis-Abeba accuse Tedros Adhanom Ghebreyesus d’avoir pris fait et cause en faveur des ennemis jurés du gouvernement dans la guerre au Tigré. Seul candidat à sa réélection, le directeur de l’Organisation mondiale de la santé avait dénoncé mercredi en des termes très forts le blocage de l’aide humanitaire au Tigré.
La situation est inédite. L’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus est le seul candidat à sa réélection à la tête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais son propre pays demande aux autres Etats membres de lancer une enquête contre lui. En cause: la guerre impitoyable au Tigré, dans le nord de l’Ethiopie, une région aux velléités sécessionnistes dont est originaire le docteur Tedros. En effet, le directeur de l’OMS est de plus en plus accusateur sur la situation humanitaire catastrophique sur place et le blocage de l’aide. Au grand dam du gouvernement fédéral d’Addis-Abeba.
Dans un communiqué publié jeudi soir, le ministère des Affaires étrangères éthiopien annonce avoir saisi l’OMS pour qu’elle enquête sur les «manquements» du directeur accusé de nuire à «l’intégrité» de l’organisation. La requête éthiopienne a, selon Addis-Abeba, été adressée au conseil exécutif de l’OMS. L’instance, comprenant 34 Etats, se réunit à partir de la semaine prochaine jusqu’à fin janvier. Elle doit donner son feu vert à un second mandat de Tedros Adhanom Ghebreyesus avant que tous les Etats membres de l’OMS avalisent cette décision au mois de mai.
Tentative de la dernière chance
L’offensive diplomatique éthiopienne ressemble donc à une dernière tentative de faire dérailler la réélection du directeur de l’OMS. Elle intervient au lendemain des mots très forts de Tedros Adhanom Ghebreyesus. «Nulle part ailleurs dans le monde, nous assistons à un enfer comme au Tigré», a-t-il déclaré mercredi lors d’un point de presse. Présent à ses côtés, Michael Ryan, le responsable des opérations d’urgence à l’OMS, a dénoncé une «insulte à l’humanité».
«C’est tellement épouvantable et inimaginable à notre époque, au XXIe siècle, qu’un gouvernement refuse à son propre peuple, depuis plus d’un an, l’accès à la nourriture, aux médicaments et à tout ce qu’il faut pour survivre», a poursuivi Tedros Adhanom Ghebreyesus. En comparaison, il a assuré que même au plus fort de la guerre en Syrie ou au Yémen, l’OMS avait toujours pu faire parvenir de l’aide aux populations qui en avaient désespérément besoin. Or, selon son directeur, l’OMS n’a pas été autorisée à acheminer des médicaments et du matériel médical depuis la mi-juillet de l’année dernière. Les convois de vivres n’entrent au Tigré qu’au compte-gouttes, selon l’ONU, et des centaines de milliers de personnes sont dans une situation proche de la famine.
En riposte, le gouvernement éthiopien soutient que le directeur de l’OMS a abusé de son poste pour se mêler des affaires intérieures du pays. Il lui est reproché d’avoir envoyé des membres de l’organisation en Ethiopie pour y noircir la situation humanitaire en exagérant le nombre de personnes ayant besoin d’aide. Un «complot» afin de favoriser «une intervention humanitaire», peut-on lire dans le communiqué diffusé sur le fil twitter du ministère.
#Ethiopia files an objection to the misconduct of #WHO Director-General, @DrTedros pic.twitter.com/XVAbV4doTT
— MFA Ethiopia🇪🇹 (@mfaethiopia) January 13, 2022
«Nous continuerons de demander de pouvoir acheminer une aide humanitaire aux 7 millions de personnes au Tigré, qui subissent un blocus de facto, selon les Nations-unies, depuis plus d’un an», a réagi samedi l’OMS. L’organisation affirme qu’elle a la même revendication pour accéder aux populations dans tous les conflits. «C’est (aussi) vrai pour le Tigré et le nord de l’Ethiopie», également touchée par cette guerre, poursuit l’OMS.
Avant d’être élu à la tête de l’OMS en 2017, le docteur Tedros a été ministre de la Santé en Ethiopie. A cette époque, le second pays africain le plus peuplé était encore dirigé d’une main de fer par le TPFL, le parti des Tigréens, pourtant une minorité en Ethiopie. Les Tigréens ont ensuite été écartés du pouvoir à Addis-Abeba sous la pression d’énormes manifestations. Marginalisés par le nouveau Premier ministre Abiy Ahmed, les Tigréens se sont repliés dans leur région, défiant le pouvoir central. En novembre 2020, Abiy Ahmed accusait le TPFL d’avoir attaqué des bases de l’armée et se lançait à l’assaut du Tigré. Entré dans sa seconde année, la guerre continue de faire des ravages, à l’abri des regards extérieurs.
Pour appuyer sa demande d’enquête contre le docteur Tedros, le gouvernement éthiopien soutient encore qu’il est toujours membre du TPLF, un mouvement classé comme «terroriste» par Addis-Abeba. Le directeur est accusé par son pays de fournir «un soutien financier et technique» au TPLF et de «désinformation» pour le compte du mouvement.
L’OMS et le docteur Tedros n’avaient pas encore réagi à ces accusations. L’Ethiopie est certes un pays influent, accueillant par exemple le siège de l’Union africaine. Mais il est peu probable qu’elle parvienne à convaincre suffisamment de pays pour entraver la réélection du docteur Tedros, alors que le monde est loin d’être sorti de la pandémie du Covid. En décembre dernier, l’Ethiopie n’avait pas réussi à empêcher la création d’une commission d’enquête internationale sur les innombrables atrocités commises par tous les camps dans la guerre du Tigré.
Note: cet article a été actualisé le 20 janvier 2022 avec la réaction de l’OMS
Par Regard Sur l’Afrique et Simon Petite
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