Après une garde à vue de deux jours, l’ancien président mauritanien a été placé sous contrôle judiciaire le 11 mars, inculpé pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Il n’ira cependant pas en prison.
Selon un communiqué du parquet, Mohamed Ould Abdel Aziz a été mis sous « contrôle judicaire poussé » avec 10 co-prévenus dont deux anciens Premiers ministres. L’enquête financière, précise le communique du parquet, a permis « de découvrir, de geler et saisir des biens mobiliers et immobiliers provenant de plusieurs crimes. »
Des biens gelés estimés à plus de 41 milliards d’anciennes ouguiyas, soit 100 millions d’euros. Le parquet note que cette somme représente seulement ce qui a été déjà découvert en Mauritanie. Ce qui sous-entend donc la possibilité de biens dissimulés au-delà des frontières mauritaniennes.
C’est pourquoi la justice du pays entend « rechercher et recouvrer par tous les moyens, y compris les facilités offertes par l’entraide judiciaire internationale, des biens frauduleusement acquis. »
L’inculpation de Mohamed Ould Abdel Aziz est le résultat du travail d’une commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur la gestion des biens publics pendant la décennie qu’il a passée à la tête de l’Etat.
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire, Mohamed Ould Abdel Aziz a été élu en 2009 et réélu en 2014. Il a aussi présidé l’Union africaine pendant une année.
L’option prison écartée
Selon nos informations, le procureur, Ahmedou Ould Abdallahi, a étudié plusieurs options : les placer tous ensemble en résidence surveillée dans une même villa ou les incarcérer à la prison civile de Nouakchott. Mais, ne souhaitant pas, selon nos sources proches de l’enquête, « humilier » l’ancien président ni l’exposer à des violences, il a opté pour l’assignation à résidence surveillée durcie.
Ce dernier, ainsi que les treize autres inculpés, ont en effet l’obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat spécial chargé des crimes économiques. S’ils dérogent à cette règle, ils pourraient être emprisonnés.
Aziz était déjà placé en résidence surveillée depuis août 2020, avec interdiction de sortir de la capitale. Le procureur avait requis que ce périmètre soit cette fois restreint à 500 mètres, mais le juge d’instruction, Houssein Ould Kebadi, qui vient d’être désigné, a préféré ne pas retenir cette limite.
Deux nuits à la Sûreté
En prévision de leur comparution devant le parquet jeudi, Aziz et ses anciens collaborateurs ont été entendus par la police, du 9 au 11 mars. L’ancien président a encore refusé de répondre aux questions des enquêteurs, se retranchant derrière l’article 93 de la Constitution mauritanienne, lui conférant selon lui l’immunité présidentielle. Tous ont donc passé deux nuits dans les locaux de la Direction générale de la sûreté, dans des chambres aménagées. Toujours selon nos sources, l’ancien président a partagé la sienne avec ses deux anciens Premier ministres.
Il a ensuite regagné son domicile du quartier des Bourses aux alentours de minuit dans la nuit du 11 au 12 mars.
Une leçon pour les autres
Un ancien chef d’Etat mauritanien poursuivi pour corruption est une première dans ce pays et même rare en Afrique.
Quel impact pourrait avoir cette affaire sur la gestion future des biens publics ? Notre correspondant en Mauritanie a posé la question à Mohamed Abdellahi Bellil, président de l’Observatoire mauritanien de lutte contre la corruption. Pour lui, « personne n’est au dessus de la loi ».
Le cas Zuma, l’exemple sud-africain
En Afrique du sud, l’ancien président Jacob Zuma a été poussé à la démission en février 2018, emporté par les nombreux scandales de corruption qui ont terni son règne.
Il est notamment accusé d’avoir touché 4 millions de rands (environ 224 000 euros) en pots-de-vin de la part du groupe de défense et d’électronique français Thales dans le cadre d’un énorme contrat d’armement de 51 milliards de rands (environ 3 milliards d’euros). Il était à l’époque vice-président.
La commission chargée d’enquêter sur la corruption d’Etat généralisée a réclamé en février dernier, auprès de la plus haute juridiction du pays, deux ans de prison à l’encontre de Jacob Zuma pour son refus de témoigner.
Par Regard Sur l’Afrique
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